Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/249

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c’est ce qui est fort ordinaire, parce qu’elle se sous-entend facilement, étant assez marquée par les propositions particulières où l’on traite chaque partie.

Et de plus, afin que la conclusion soit renfermée dans les prémisses, il faut sous-entendre partout quelque chose de général qui puisse convenir à tout comme dans le premier :

Si on agit bien, on offensera les hommes, ce qui est fâcheux ;

Si on agit mal, on offensera les dieux, ce qui est fâcheux aussi :

Donc il est fâcheux, en toute manière, de se mêler des affaires de la république.

Cet avis est fort important pour bien juger de la force d’un dilemme. Car ce qui fait, par exemple, que celui-là n’est pas concluant, est qu’il n’est point fâcheux d’offenser les hommes quand on ne peut l’éviter qu’en offensant Dieu.

La deuxième observation est qu’un dilemme peut être vicieux principalement par deux défauts. L’un est, quand la disjonctive sur laquelle il est fondé est défectueuse, ne comprenant pas tous les membres du tout que l’on divise.

Ainsi le dilemme pour ne point se marier ne conclut pas, parce qu’il peut y avoir des femmes qui ne seront pas si belles qu’elles causent de la jalousie, ni si laides qu’elles déplaisent.

C’est aussi, par cette raison, un très-faux dilemme que celui dont se servaient les anciens philosophes pour ne point craindre la mort[1]. Ou notre âme, disaient-ils, périt avec le corps ; et ainsi, n’ayant plus de sentiment, nous serons incapables de mal ; ou si l’âme survit au corps, elle sera plus heureuse qu’elle n’était dans le corps : donc la mort n’est point à craindre. Car, comme Montaigne[2] a fort bien remarqué, c’était un grand aveuglement de ne

  1. Socrate et Épicure se servaient d’arguments analogues à celui que reproduit Arnauld.
  2. Essais, liv. II, ch. xii.