Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/262

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d’avantage, ou qu’on lui impute les conséquences qu’on s’imagine pouvoir tirer de sa doctrine, quoiqu’il les désavoue et qu’il les nie. Tout cela peut se rapporter à cette première espèce de sophisme qu’un homme de bien et sincère doit éviter sur toutes choses.

Il eût été à souhaiter qu’Aristote, qui a eu soin de nous avertir de ce défaut, eût eu autant de soin de l’éviter ; car on ne peut dissimuler qu’il n’ait combattu plusieurs des anciens philosophes en rapportant leurs opinions peu sincèrement[1]. Il réfute Parménide[2] et Mélissus[3], pour n’avoir admis qu’un seul principe de toutes choses, comme s’ils avaient entendu par là le principe dont elles sont composées ; au lieu qu’ils entendaient le seul et unique principe dont toutes les choses ont tiré leur origine, qui est Dieu[4].

Il accuse tous les anciens de n’avoir pas reconnu la privation pour un des principes des choses naturelles, et il les traite sur cela de rustiques et de grossiers ; mais qui ne voit que ce qu’il nous représente comme un grand mystère qui eût été ignoré jusqu’à lui ne peut jamais avoir été ignoré de personne, puisqu’il est impossible de ne pas voir qu’il faut que la matière dont on fait une table ait la privation de la forme de table, c’est-à-dire ne soit pas table avant qu’on en fasse une table ? Il est vrai que ces anciens ne s’étaient pas avisé de cette connaissance pour expliquer les principes des choses naturelles, parce qu’en effet il n’y a rien qui y serve moins, étant assez visible qu’on n’en connaît pas mieux comment se fait une horloge, pour savoir que la matière dont on l’a fait a dû n’être pas horloge avant qu’on en fît une horloge[5].

  1. Aristote est au contraire d’une exactitude admirable dans l’exposition des systèmes, sauf peut-être celui de Platon.
  2. Parménide d’Élée (vers 480 av. J.-C.) fut disciple de Xénophane. Voir notre Histoire de la philosophie.
  3. Mélissus de Samos, disciple de Parménide, 460 av. J.-C.
  4. Arnauld parle avec légèreté d’Aristote, qu’il connaît fort peu. Aristote a fort bien compris la doctrine des éléates, qui est le panthéisme, et Arnauld a tort d’y vouloir trouver une croyance plus ou moins analogue au christianisme.
  5. Phys., i, ch. xi.