Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tendent au centre de la terre, et que les choses légères s’en éloignent.

Donc le centre de la terre est le même que le centre du monde.

Il est clair qu’il y a dans la majeure de cet argument une manifeste pétition de principe, car nous voyons bien que les choses pesantes tendent au centre de la terre ; mais d’où Aristote a-t-il appris qu’elles tendent au centre du monde, s’il ne suppose que le centre de la terre est le même que le centre du monde ? Ce qui est la conclusion même qu’il veut prouver par cet argument.

Ce sont aussi de pures pétitions de principe que la plupart des arguments dont on se sert pour prouver un certain genre bizarre de substances, qu’on appelle dans l’école des formes substantielles, lesquelles on prétend être corporelles, quoiqu’elles ne soient pas des corps ; ce qui est assez difficile à comprendre. S’il n’y avait des formes substantielles, disent-ils, il n’y aurait point de génération ; or, il y a génération dans le monde, donc il y a des formes substantielles[1].

Il n’y a qu’à distinguer l’équivoque du mot de génération pour voir que cet argument n’est qu’une pure pétition de principe ; car si l’on entend par le mot de génération la production naturelle d’un nouveau tout dans la nature, comme la production d’un poulet qui se forme dans un œuf, on a raison de dire qu’il y a des générations en ce sens ; mais on n’en peut pas conclure qu’il y ait des formes substantielles, puisque le seul arrangement des parties par la nature peut produire ces nouveaux touts et ces nouveaux êtres naturels. Mais si l’on entend par le mot de génération, comme ils l’entendent ordinairement, la production d’une nouvelle substance qui ne fût pas auparavant, savoir, de cette forme substantielle, on supposera justement ce qui est en question : étant visible que celui qui nie les formes substantielles ne peut pas accorder que la nature produise des formes substantielles, et tant s’en faut qu’il puisse être porté par cet argument à avouer qu’il y en ait, qu’il doit en tirer une conclusion contraire en cette sorte : S’il y avait des formes substantielles, la nature pourrait produire des substances qui ne seraient pas auparavant ; or la nature ne peut pas produire de nouvelles substances, puisque ce

  1. « Il semble que depuis peu le nom des formes substantielles est devenu infâme auprès de certaines gens, et qu’on a honte d’en parler. Cependant il y a en cela encore peut-être plus de mode que de raison. » Leibnitz (Nouveaux Essais sur l’entendement, III, ch. iv.)