Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/267

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perfection du monde consiste principalement en ce qu’il enferme des créatures qui ne sont pas corps.

Le même philosophe prouve qu’il y a trois mouvements simples, parce qu’il y a trois dimensions. Il est difficile de voir la conséquence de l’un à l’autre.

Il prouve aussi que le ciel est inaltérable et incorruptible parce qu’il se meut circulairement, et qu’il n’y a rien de contraire au mouvement circulaire[1] ; mais, 1o on ne voit pas ce que fait la contrariété du mouvement à la corruption ou à l’altération du corps ; 2o on voit encore moins pourquoi le mouvement circulaire d’orient en occident n’est pas contraire à un autre mouvement circulaire d’occident en orient[2].

L’autre cause qui fait tomber les hommes dans ce sophisme est la sotte vanité qui nous fait avoir honte de reconnaître notre ignorance ; car c’est de là qu’il arrive que nous aimons mieux nous forger des causes imaginaires des choses dont on nous demande raison, que d’avouer que nous n’en savons pas la cause, et la manière dont nous nous échappons de cette confession de notre ignorance est assez plaisante. Quand nous voyons un effet dont la cause nous est inconnue, nous nous imaginons l’avoir découverte, lorsque nous avons joint à cet effet un mot général de vertu et de faculté, qui ne forme dans notre esprit aucune autre idée, sinon que cet effet a quelque cause, ce que nous savions bien avant que d’avoir trouvé ce mot[3]. Il n’y a personne, par exemple, qui ne sache que ses artères battent ; que le fer étant proche de l’aimant va s’y joindre, que le séné purge et que le pavot endort. Ceux qui ne font point profession de science, et à qui l’ignorance n’est pas honteuse, avouent franchement qu’ils connaissent ces effets mais qu’ils n’en savent pas la cause ; au lieu que les savants, qui rougi-

  1. Aristote, De Cœlo, ch. i.
  2. La Physique d’Aristote, quoiqu’elle soit un chef d’œuvre pour l’époque, contient assurément beaucoup d’erreurs, mais, pour les relever et les apprécier, il faudrait une discussion plus sérieuse que celle d’Arnauld dans sa Logique.
  3. Turgot et plus tard les positivistes insisteront sur cette prétendue explication de choses par des vertus ou facultés, par des entités métaphysiques.