Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/270

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C’est encore pis quand ils donnent ces influences chimériques pour la cause des inclinations des hommes, vicieuses ou vertueuses, et même de leurs actions particulières et des événements de leur vie, sans en voir d’autre fondement, sinon qu’entre mille prédictions il arrive par hasard que quelques-unes sont vraies ; mais si l’on veut juger des choses par le bon sens, on avouera qu’un flambeau allumé dans la chambre d’une femme qui accouche doit avoir plus d’effet sur le corps de son enfant que la planète de Saturne en quelque aspect qu’elle le regarde et avec quelque autre qu’elle soit jointe[1].

Enfin, il y en a qui apportent des causes chimériques d’effets chimériques, comme ceux qui, supposant que la nature abhorre le vide, et qu’elle fait des efforts pour l’éviter (ce qui est un effet imaginaire : car la nature n’a horreur de rien, et tous les effets qu’on attribue à cette horreur dépendent de la seule pesanteur de l’air), ne laissent pas d’apporter des raisons de cette horreur imaginaire, qui sont encore plus imaginaires[2]. La nature abhorre le vide, dit l’un d’entre eux, parce qu’elle a besoin de la continuité des corps pour faire passer les influences et pour la propagation des qualités. C’est une étrange sorte de science que celle-là, qui prouve ce qui n’est point par ce qui n’est point.

C’est pourquoi, quand il s’agit de rechercher les causes des effets extraordinaires que l’on propose, il faut d’abord examiner avec soin si ces effets sont véritables ; car souvent on se fatigue inutilement à chercher des raisons de choses qui ne sont point, et il y en a une infinité qu’il faut résoudre en la même manière que Plutarque résout cette question qu’il se propose : Pourquoi les poulains qui ont été courus par les loups sont plus vites[3] que les autres ; car, après avoir dit que c’est peut-être parce que ceux qui étaient plus lents ont été pris par les loups, et qu’ainsi ceux qui sont échappés étaient les plus vites, ou

  1. Allusion à ce que les astrologues appelaient la conjonction des astres.
  2. On connaît l’histoire de Galilée et sa réponse aux fontainiers de Florence.
  3. On dirait aujourd’hui vont plus vite.