Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/271

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bien que la peur leur ayant donné une vitesse extraordinaire, ils en ont retenu l’habitude, il rapporte enfin une autre solution, qui est apparemment véritable : c’est, dit-il, que peut-être cela n’est pas vrai. C’est ainsi qu’il faut résoudre un grand nombre d’effets qu’on attribue à la lune, comme, que les os sont pleins de moelle lorsqu’elle est pleine, et vides lorsqu’elle est en décours ; qu’il en est de même des écrevisses : car il n’y a qu’à dire que tout cela est faux, comme des personnes m’ont assuré l’avoir éprouvé, les os et les écrevisses se trouvent indifféremment tantôt pleins et tantôt vides dans tous les temps de la lune. Il y a bien de l’apparence qu’il en est de même de quantité d’observations que l’on fait pour la coupe des bois, pour cueillir ou semer les graines, pour enter les arbres, pour prendre des médecines ; et le monde se délivrera peu à peu de toutes ces servitudes, qui n’ont point d’autre fondement que des suppositions dont personne n’a jamais éprouvé sérieusement la vérité. C’est pourquoi il y a de l’injustice dans ceux qui prétendent que, pourvu qu’ils allèguent une expérience ou un fait tiré de quelque auteur ancien, on est obligé de le recevoir sans examen.

C’est encore à cette sorte de sophisme qu’on doit rapporter cette tromperie ordinaire de l’esprit humain, post hoc, ergo propter hoc. Cela est arrivé ensuite de telle chose : il faut donc que cette chose en soit la cause. C’est par là que l’on a conclu que c’était une étoile nommée Canicule qui était cause de la chaleur extraordinaire que l’on sent durant les jours que l’on appelle caniculaires ; ce qui a fait dire à Virgile, en parlant de cette étoile, que l’on appelle en latin Sirius :

Ille sitim morbosque ferens Aut Sirius ardor :
Ille sitim morbosque ferens mortalibus ægris
Nascitur, et lævo contristat lumine cœlum[1].

Cependant, comme Gassendi a fort bien remarqué, il n’y a rien de moins vraisemblable que cette imagination : car cette étoile étant de l’autre côté de la ligne, ses effets

  1. Virgile, Énéide, X, v. 273 et sqq.