Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/272

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devraient être plus forts sur les lieux où elle est plus perpendiculaire ; et néanmoins les jours que nous appelons caniculaires ici sont le temps de l’hiver de ce côté-là : de sorte qu’ils ont bien plus de sujet de croire en ce pays-là que la canicule leur apporte le froid, que nous n’en avons de croire qu’elle nous cause le chaud.

IV. Dénombrement imparfait[1].

Il n’y a guère de défaut de raisonnement où les personnes habiles tombent plus facilement qu’en celui de faire des dénombrements imparfaits, et de ne considérer pas assez toutes les manières dont une chose peut être ou peut arriver : ce qui leur fait conclure témérairement, ou qu’elle n’est pas, parce qu’elle n’est pas d’une certaine manière, quoiqu’elle puisse être d’une autre ; ou qu’elle est de telle ou telle façon, quoiqu’elle puisse être encore d’une autre manière qu’ils n’ont pas considérée.

On peut trouver des exemples de ces raisonnements défectueux dans les preuves sur lesquelles Gassendi établit le principe de sa philosophie, qui est le vide répandu entre les parties de la matière, qu’il appelle vacuum disseminatum ; et je les rapporterai d’autant plus volontiers, que Gassendi ayant été un homme célèbre, qui avait plusieurs connaissances très-curieuses, les fautes même qu’il pourrait avoir mêlées dans ce grand nombre d’ouvrages qu’on a publiés après sa mort ne sont pas méprisables et méritent d’être sues : au lieu qu’il est fort inutile de se charger la mémoire de celles qui se trouvent dans les auteurs qui n’ont point de réputation[2].

Le premier argument que Gassendi emploie pour prouver ce vide répandu, et qu’il prétend faire passer en un

  1. C’est, on s’en souvient, un des vices de méthode que Descartes s’efforce d’éviter, en formulant sa quatrième règle.
  2. On sait que Gassendi soutenait les doctrines d’Épicure et par conséquent admettait, entre les atomes, le vide qui les sépare et où ils se meuvent. Les Cartésiens, au contraire, n’admettaient aucun vide, parce qu’il n’y avait pour eux aucune différence entre l’étendue et la matière. Leibnitz n’admet également aucun vide, parce que ce serait dans la nature une discontinuité sans raison, une défaillance inintelligible de l’être.