Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/278

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racles : Les aveugles voient, les boiteux marchent droit, les sourds entendent[1]. Cela ne peut être vrai qu’en prenant ces choses séparément, et non conjointement, c’est-à-dire dans le sens divisé, et non dans le sens composé : car les aveugles ne voyaient pas demeurant aveugles, et les sourds n’entendaient pas demeurant sourds ; mais ceux qui avaient été aveugles auparavant et ne l’étaient plus voyaient, et de même des sourds.

C’est aussi dans le même sens qu’il est dit, dans l’Écriture, que Dieu justifie les impies[2], car cela ne veut pas dire qu’il tient pour justes ceux qui sont encore impies ; mais qu’il rend justes, par sa grâce, ceux qui auparavant étaient impies.

Il y a, au contraire, des propositions qui ne sont véritables qu’en un sens opposé à celui-là, qui est le sens composé, comme quand saint Paul dit que les médisants, les fornicateurs, les avares, n’entreront point dans le royaume des cieux[3] ; car cela ne veut pas dire que nul de ceux qui auront eu ces vices ne seront sauvés, mais seulement que ceux qui y demeureront attachés et qui ne les auront point quittés, en se convertissant à Dieu, n’auront point de part au royaume du ciel.

Il est aisé de voir qu’on ne peut passer, sans sophisme, de l’un de ces sens à l’autre, et que ceux-là, par exemple, raisonneraient mal, qui se promettraient le ciel en demeurant dans leurs crimes, parce que Jésus-Christ est venu pour sauver les pécheurs, et qu’il dit dans l’Évangile, que les femmes de mauvaise vie précéderont les pharisiens dans le royaume de Dieu[4] ; ou qui, au contraire, ayant mal vécu, désespéreraient de leur salut, comme n’ayant plus rien à attendre que la punition de leurs crimes, parce qu’il est dit que la colère de Dieu est réservée à tous ceux qui vivent mal, et que toutes les

  1. Matthieu, xi, 5.
  2. « Ei vero qui non operatur, credenti autem in eum qui justificat impium, reputatur fides ejus ad justitiam. » (Rom., iv, 5.)
  3. « Omnis fornicator, aut immundus, aut avarus, quod est idolarum servitus, non habebit hæreditatem in regno Christi et Dei. » Ephes., v.
  4. « Meretrices præcedent vos in regnum Dei. » Matth., xxi, 31.