Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/300

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Qui pourrait de même souffrir cet autre raisonnement du même auteur sur le sujet des augures que les païens tiraient du vol des oiseaux, et dont les plus sages d’entre eux se sont moqués : « De toutes les prédictions du temps passé, dit-il, les plus anciennes et les plus certaines étaient celles qui se tiraient du vol des oiseaux : nous n’avons rien de pareil ni de si admirable ; cette règle, cet ordre du branler de leur aile, par lequel on tire des conséquences des choses à venir, il faut bien qu’il soit conduit par quelque excellent moyen à une si noble opération : car c’est prêter à la lettre que d’attribuer ce grand effet à quelque ordonnance naturelle, sans l’intelligence, le consentement et le discours de celui qui le produit, et c’est une opinion évidemment fausse. »

N’est-ce pas une chose assez plaisante que de voir un homme qui ne tient rien d’évidemment vrai ni d’évidemment faux, dans un traité fait exprès pour établir le pyrrhonisme et pour détruire l’évidence de la certitude, nous débiter sérieusement ces rêveries comme des vérités certaines, et traiter l’opinion contraire d’évidemment fausse ? Mais il se moque de nous quand il parle de la sorte, il est inexcusable de se jouer ainsi de ses lecteurs, en leur disant des choses qu’il ne croit pas, et que l’on ne peut pas croire sans folie.

Il était sans doute aussi bon philosophe que Virgile, qui n’attribue pas même à une intelligence qui soit dans les oiseaux les changements réglés qu’on voit dans leurs mouvements selon la diversité de l’air, dont on peut tirer quelque conjecture pour la pluie et le beau temps, comme l’on peut voir dans ces vers admirables des Géorgiques :

Haud equidem credo quia sit divinitus illis
Ingenium, aut rerum fato prudentia major :
Verum ubi tempestas et cœli mobilis humor
Mutavere vias, et Jupiter humidus Austris
Densat, erant quæ rara modo, et quæ densa, relaxat,
Vertuntur species animorum et pectora motus
Nunc hos nunc alios, dum nubila ventus agebat,
Concipiunt : hinc ille avium concentus in agris,
Et lætæ pecudes, et ovantes gutture corvi[1].

  1. Géorgiques, liv. I, v. 415.