Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/301

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Mais ces égarements étant involontaires, il ne faut qu’avoir un peu de bonne foi pour les éviter : les plus communs et les plus dangereux sont ceux que l’on ne reconnaît pas, parce que l’engagement où l’on est entré de défendre un sentiment trouble la vue de l’esprit, et lui fait prendre pour vrai tout ce qui sert à sa fin ; et l’unique remède qu’on peut y apporter est de n’avoir pour fin que la vérité, et d’examiner avec tant de soin les raisonnements que l’enseignement même ne puisse pas nous tromper.

Des faux raisonnements qui naissent des objets mêmes.

On a déjà remarqué qu’il ne fallait pas séparer les causes intérieures de nos erreurs de celles qui se tirent des objets, que l’on peut appeler extérieures, parce que la fausse apparence de ces objets ne serait pas capable de nous jeter dans l’erreur, si la volonté ne poussait l’esprit à former un jugement précipité, lorsqu’il n’est pas encore suffisamment éclairé.

Mais, parce qu’elle ne peut aussi exercer cet empire sur l’entendement dans les choses entièrement évidentes, il est visible que l’obscurité des objets y contribue beaucoup, et même il y a souvent des rencontres où la passion qui porte à mal raisonner est assez imperceptible ; et c’est pourquoi il est utile de considérer séparément ces illusions, qui naissent principalement des choses mêmes.

I. C’est une opinion fausse et impie, que la vérité soit tellement semblable au mensonge, et la vertu au vice, qu’il soit impossible de les discerner[1] ; mais il est vrai que dans la plupart des choses il y a un mélange d’erreur et de vérité, de vice et de vertu, de perfection et d’imperfection, et que ce mélange est une des plus ordinaires sources des faux jugements des hommes[2].

Car c’est par ce mélange trompeur que les bonnes

  1. On reconnaît la doctrine des pyrrhoniens et des sceptiques.
  2. C’est pour cela que la tolérance envers les opinions des autres est nécessaire : Nicole l’oublie lui-même à l’égard de Montaigne.