Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans cela il n’aurait pas été poëte, en se servant, pour le prouver, de cette étrange raison que les vers d’Hésiode, d’Homère et de Virgile sont remplis des noms et des faibles de ces dieux, d’où il conclut qu’il lui est permis de faire de même.

Ces mauvais raisonnements sont souvent imperceptibles à ceux qui les font, et les trompent les premiers : ils s’étourdissent par le son de leurs paroles ; l’éclat de leurs figures les éblouit et la magnificence de certains mots les attire, sans qu’ils s’en aperçoivent, à des pensées si peu solides, qu’ils les rejetteraient sans doute s’ils y faisaient quelque réflexion.

Il est croyable, par exemple, que c’est le mot de vestale qui a flatté un auteur de ce temps, et qui l’a porté à dire à une demoiselle, pour l’empêcher d’avoir honte de savoir le latin, qu’elle ne devait pas rougir de parler une langue que parlaient les vestales : car s’il avait considéré cette pensée, il aurait vu qu’on aurait pu dire avec autant de raison à cette demoiselle qu’elle devait rougir de parler une langue que parlaient autrefois les courtisanes de Rome, qui étaient en bien plus grand nombre que les vestales, ou qu’elle devait rougir de parler une autre langue que celle de son pays, puisque les anciennes vestales ne parlaient que leur langue naturelle. Tous ces raisonnements, qui ne valent rien, sont aussi bons que celui de cet auteur ; et la vérité est que les vestales ne peuvent servir de rien pour justifier ni pour condamner les filles qui apprennent le latin.

Les faux raisonnements de cette sorte, que l’on rencontre si souvent dans les écrits de ceux qui affectent le plus d’être éloquents, font voir combien la plupart des personnes qui parlent ou qui écrivent auraient besoin d’être bien persuadées de cette excellente règle, qu’il n’y a rien de beau que ce qui est vrai[1] ; ce qui retrancherait des discours une infinité de vains ornements et de pensées fausses. Il est vrai que cette exactitude rend le style plus sec

  1. « Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est aimable, » dit Boileau.