Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/322

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les autres, qui sont les pyrrhoniens, ont même nié cette vraisemblance, et ont prétendu que toutes choses étaient également obscures et incertaines.

Mais la vérité est que toutes ces opinions, qui ont fait tant de bruit dans le monde, n’ont jamais subsisté que dans des discours, des disputes ou des écrits, et que personne n’en a jamais été sérieusement persuadé. C’étaient des jeux et des amusements de personnes oisives et ingénieuses[1] ; mais ce ne furent jamais des sentiments dont ils fussent intérieurement pénétrés, et par lesquels ils voulussent se conduire[2] : c’est pourquoi le meilleur moyen de convaincre ces philosophes était de les rappeler à leur conscience et à la bonne foi, et de leur demander, après tous ces discours par lesquels ils s’efforçaient de montrer qu’on ne peut distinguer le sommeil de la veille ni la folie du bon sens, s’ils n’étaient pas persuadés, malgré toutes leurs raisons, qu’ils ne dormaient pas et qu’ils avaient l’esprit sain ; et, s’ils eussent eu quelque sincérité, ils auraient démenti toutes leurs vaines subtilités, en avouant franchement qu’ils ne pouvaient pas ne point croire toutes ces choses quand ils l’eussent voulu.

Que s’il se trouvait quelqu’un qui pût entrer en doute s’il ne dort point ou s’il n’est point fou, ou qui pût même croire que l’existence de toutes les choses extérieures est incertaine, et qu’il est douteux s’il y a un soleil, une lune et une matière, au moins personne ne saurait douter, comme dit saint Augustin[3], s’il est, s’il pense, s’il vit : car, soit qu’il dorme ou qu’il veille, soit qu’il ait l’esprit sain ou malade, soit qu’il se trompe ou qu’il ne se trompe pas, il est certain au moins, puisqu’il pense, qu’il est et qu’il vit, étant impossible de séparer l’être et la vie de la pensée, et de croire que ce qui pense n’est pas et ne vit pas ;

  1. Ce n’était point des jeux, mais un problème philosophique de première importance, qui se pose devant nous comme devant les anciens.
  2. Arnauld mêle ici à tort le point de vue théorique et le point de vue pratique.
  3. Arnauld aime à rappeler saint Augustin à propos du cogito, ergo sum, comme il le fit dans ses objections aux Méditations de Descartes.