Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/323

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et de cette connaissance claire, certaine et indubitable, il peut en former une règle pour approuver comme vraies toutes les pensées qu’il trouvera claires, comme celle-là lui paraît[1].

Il est impossible de même de douter de ses perceptions, en les séparant de leur objet : qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas un soleil et une terre, il m’est certain que je m’imagine en voir un ; il m’est certain que je doute, lorsque je doute ; que je crois voir, lorsque je crois voir ; que je crois entendre, lorsque je crois entendre : et ainsi des autres : de sorte qu’en se renfermant dans son esprit seul, et en y considérant ce qui s’y passe, on y trouvera une infinité de connaissances claires et dont il est impossible de douter[2].

Cette considération peut servir à décider une autre question que l’on fait sur ce sujet, qui est, si les choses que l’on ne connaît que par l’esprit sont plus ou moins certaines que celles que l’on connaît par les sens : car il est clair, par ce que nous venons de dire, que nous sommes plus assurés de nos perceptions et de nos idées, que nous ne voyons que par une réflexion d’esprit, que nous ne le sommes de tous les objets de nos sens. L’on peut dire même qu’encore que les sens ne nous trompent pas toujours dans le rapport qu’ils nous font[3], néanmoins la certitude que nous avons qu’ils ne nous trompent pas ne vient pas des sens, mais d’une réflexion de l’esprit, par laquelle nous discernons quand nous devons croire et quand nous ne devons pas croire les sens.

Et c’est pourquoi il faut avouer que saint Augustin a eu raison de soutenir, après Platon, que le jugement de la vérité et la règle pour la discerner n’appartiennent point aux sens, mais à l’esprit : Non est judicium veritatis in sensibus ; et que même cette certitude que l’on

  1. Cette règle est celle de Descartes et n’appartient point à saint Augustin.
  2. Toutes ces réflexions sont purement cartésiennes.
  3. À vrai dire les données immédiates des sens ne sont jamais fausses ; la fausseté n’existe que dans les jugements formés à l’occasion des sensations.