Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/335

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Car il faut éviter ce qui arrive à plusieurs qui, par une précipitation d’esprit, s’appliquent à résoudre ce qu’on leur propose avant que d’avoir assez considéré par quels signes et par quelles marques ils pourront reconnaître ce qu’ils cherchent, quand ils le rencontreront : comme si un valet à qui son maître aurait commandé de chercher l’un de ses amis, se hâtait d’y aller avant que d’avoir su plus particulièrement de son maître quel est cet ami.

Or, encore que dans toute question il y ait quelque chose d’inconnu, autrement il n’y aurait rien à chercher, il faut néanmoins que cela même qui est inconnu soit marqué et désigné par de certaines conditions qui nous déterminent à rechercher une chose plutôt qu’une autre, et qui puissent nous faire juger, quand nous l’aurons trouvée, que c’est ce que nous cherchions.

Et ce sont ces conditions que nous devons bien envisager d’abord, en prenant garde de n’en point ajouter qui ne soient pas enfermées dans ce que l’on a proposé, et de n’en point omettre qui y seraient enfermées ; car on peut pécher en l’une et en l’autre manière.

On pécherait en la première manière, si lors par exemple que l’on nous demande quel est l’animal qui au matin marche à quatre pieds, à midi à deux, et au soir à trois[1], on se croyait astreint de prendre tous ces mots de pied, de matin, de midi, de soir, dans leur propre et naturelle signification : car celui qui propose cette énigme n’a point mis pour condition qu’on dût les prendre de la sorte ; mais il suffit que ces mots puissent par métaphore, se rapporter à autre chose ; et ainsi cette question est bien résolue, quand on a dit que cet animal est l’homme.

Supposons encore qu’on nous demande par quel artifice pouvait avoir été faite la figure d’un Tantale qui, étant couché sur une colonne, au milieu d’un vase, en posture d’un homme qui se penche pour boire, ne pouvait jamais

  1. C’est, comme on sait, l’énigme du sphinx.