Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/336

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le faire, parce que l’eau pouvait bien monter dans le vase jusqu’à sa bouche, mais s’enfuyait toute sans qu’il en demeurât rien dans le vase aussitôt qu’elle était arrivée jusqu’à ses lèvres ; on pécherait, en ajoutant des conditions qui ne serviraient de rien à la solution de cette demande, si on s’amusait à chercher quelque secret merveilleux dans la figure de ce Tantale qui ferait fuir cette eau aussitôt qu’elle aurait touché ses lèvres, car cela n’est point enfermé dans la question ; et si on la conçoit bien, on doit la réduire à ces termes, de faire un vase qui tienne l’eau, n’étant plein que jusqu’à une certaine hauteur, et qui la laisse toute aller, si on le remplit davantage ; et cela est fort aisé, car il ne faut que cacher un siphon dans la colonne qui ait un petit trou en bas par où l’eau y entre, et dont la plus longue jambe ait son ouverture par-dessous le pied du vase : tant que l’eau que l’on mettra dans le vase ne sera pas arrivée au haut du siphon, elle y demeurera ; mais quand elle y sera arrivée, elle s’enfuira toute par la plus longue jambe du siphon qui est ouverte au dessous du pied du vase[1].

On demande encore quel pouvait être le secret de ce buveur d’eau qui se fit voir à Paris il y a vingt ans, et comment il pouvait se faire qu’en jetant de l’eau de sa bouche, il remplît en même temps cinq ou six verres différents d’eaux de diverses couleurs. Si on s’imagine que ces eaux de diverses couleurs étaient dans son estomac, et qu’il les séparait en les jetant l’une dans un verre et l’autre dans l’autre, on cherchera un secret que l’on ne trouvera jamais, parce qu’il n’est pas possible : au lieu qu’on n’a qu’à chercher pourquoi l’eau sortie en même temps de la même bouche paraissait de diverses couleurs dans chacun de ces verres ; et il y a grande apparence que cela venait de quelque teinture qu’il avait mise au fond de ces verres.

C’est aussi l’artifice de ceux qui proposent des ques-

  1. Voir, dans les éclaircissements, les passages de Descartes imités par Arnauld.