Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/338

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pour lui faire avoir les vraies idées des couleurs telles que nous les avons par les sens : et de même, si l’aimant, et les autres corps dont on cherche la nature, était un nouveau genre d’être, et tel que notre esprit n’en aurait point conçu de semblable, nous ne devrions pas nous attendre de le connaître jamais par raisonnement ; mais nous aurions besoin pour cela d’un autre esprit que le nôtre. Et ainsi, on doit croire avoir trouvé tout ce qui peut se trouver par l’esprit humain, si on peut concevoir distinctement un tel mélange des êtres et des natures qui nous sont connus, qu’il produise tous les effets que nous voyons dans l’aimant.

Or, c’est dans l’attention que l’on fait à ce qu’il y a de connu dans la question que l’on veut résoudre, que consiste principalement l’analyse ; tout l’art étant de tirer de cet examen beaucoup de vérités qui puissent nous mener à la connaissance de ce que nous cherchons.

Comme si l’on propose : Si l’âme de l’homme est immortelle, et que pour le chercher on s’applique à considérer la nature de notre âme, on y remarque premièrement, que c’est le propre de l’âme de penser, et qu’elle pourrait douter de tout, sans pouvoir douter si elle pense, puisque le doute même est une pensée. On examine ensuite ce que c’est que de penser ; et, ne voyant point que dans l’idée de la pensée il y ait rien d’enfermé de ce qui est enfermé dans l’idée de la substance étendue qu’on appelle corps, et qu’on peut même nier de la pensée tout ce qui appartient au corps, comme d’être long, large, profond, d’avoir diversité de parties, d’être d’une telle ou d’une telle figure, d’être divisible, etc., sans détruire pour cela l’idée qu’on a de la pensée ; on en conclut que la pensée n’est point un mode de la substance étendue, parce qu’il est de la nature du mode de ne pouvoir être conçu en niant de lui la chose dont il serait mode. D’où l’on infère encore que la pensée n’étant point un mode de la substance étendue, il faut que ce soit l’attribut d’une autre substance ; et qu’ainsi la substance qui pense et la substance étendue soient