Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/35

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Mais le mal est que, dans les choses qui ne sont pas si sensibles, ces personnes, qui mettent leur plaisir à douter de tout, empêchent leur esprit de s’appliquer à ce qui pourrait les persuader, ou ne s’y appliquent qu’imparfaitement, et ils tombent par là dans une incertitude volontaire à l’égard des choses de la religion, parce que cet état de ténèbres qu’ils se procurent leur est agréable, et leur paraît commode pour apaiser les remords de leur conscience et pour contenter librement leurs passions.

Ainsi, comme ces déréglements d’esprit, qui paraissent opposés, l’un portant à croire légèrement ce qui est obscur et incertain, et l’autre à douter de ce qui est clair et certain, ont néanmoins le même principe, qui est la négligence à se rendre attentif autant qu’il faut pour discerner la vérité, il est visible qu’il faut y remédier de la même sorte, et que l’unique moyen de s’en garantir est d’apporter une attention exacte à nos jugements et à nos pensées. C’est la seule chose qui soit absolument nécessaire pour se défendre des surprises : car ce que les académiciens disaient, qu’il était impossible de trouver la vérité, si on n’en avait des marques, comme on ne pourrait reconnaître un esclave fugitif qu’on chercherait si on n’avait des signes pour le distinguer des autres, au cas qu’on le rencontrât, n’est qu’une vaine subtilité. Comme il ne faut point d’autres marques pour distinguer la lumière des ténèbres que la lumière même, qui se fait assez sentir, ainsi il n’en faut point d’autres pour reconnaître la vérité, que la clarté même qui l’environne et qui soumet l’esprit et le persuade malgré qu’il en ait de sorte que toutes les raisons de ces philosophes ne sont pas plus capables d’empêcher l’âme de se rendre à la vérité, lorsqu’elle en est fortement pénétrée, qu’elles sont capables d’empêcher les yeux de voir lorsqu’étant ouverts, ils sont frappés par la lumière du soleil.

Mais, parce que l’esprit se laisse quelquefois abuser par de fausses lueurs, lorsqu’il n’y apporte pas l’attention nécessaire, et qu’il y a bien des choses que l’on ne con-