Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/36

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naît que par un long et difficile examen, il est certain qu’il serait utile d’avoir des règles pour s’y conduire de telle sorte, que la recherche de la vérité en fût et plus facile et plus sûre ; et ces règles, sans doute, ne sont pas impossibles : car, puisque les hommes se trompent quelquefois dans leurs jugements, et que quelquefois aussi ils ne se trompent pas, qu’ils raisonnent tantôt bien et tantôt mal, et qu’après avoir mal raisonné, ils sont capables de reconnaître leur faute, ils peuvent remarquer, en faisant des réflexions sur leurs pensées, quelle méthode ils ont suivie lorsqu’ils ont bien raisonné et quelle a été la cause de leur erreur lorsqu’ils se sont trompés, et former ainsi des règles sur ces réflexions, pour éviter à l’avenir d’être surpris.

C’est proprement ce que les philosophes entreprennent, et sur quoi ils nous font des promesses magnifiques. Si on veut les en croire, ils nous fournissent, dans cette partie qu’ils destinent à cet effet, et qu’ils appellent logique, une lumière capable de dissiper toutes les ténèbres de notre esprit ; ils corrigent toutes les erreurs de nos pensées, et ils nous donnent des règles si sûres, qu’elles nous conduisent infailliblement à la vérité, et si nécessaires tout ensemble, que sans elles il est impossible de la connaître avec une entière certitude. Ce sont les éloges qu’ils donnent eux-mêmes à leurs préceptes. Mais si l’on considère ce que l’expérience nous fait voir de l’usage que ces philosophes en font, et dans la logique, et dans les autres parties de la philosophie, on aura beaucoup de sujet de se défier de la vérité de ces promesses.

Néanmoins, parce qu’il n’est pas juste de rejeter absolument ce qu’il y a de bon dans la logique, à cause de l’abus qu’on peut en faire, et qu’il n’est pas vraisemblable que tant de grands esprits qui se sont appliqués avec tant de soin aux règles du raisonnement n’aient rien du tout trouvé de solide ; et enfin parce que la coutume a introduit une certaine nécessité de savoir au moins grossièrement ce que c’est que logique, on a cru que ce serait contribuer en quelque chose à l’utilité publique, que d’en tirer ce qui peut le plus servir à former le jugement : et c’est proprement le dessein qu’on s’est proposé dans cet ouvrage, en y ajoutant plusieurs nouvelles réflexions qui sont venues dans l’esprit en écrivant, et qui en font la plus grande et peut-être la plus considérable partie.

Car il me semble que les philosophes ordinaires ne se soient guère appliqués qu’à donner des règles des bons et des mauvais raisonnements. Or, quoique l’on ne puisse