Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/366

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mêmes, ou démontrées auparavant par une autre voie : et alors cette sorte de démonstration, en réduisant à l’impossible, tient plutôt lieu d’explication que d’une démonstration nouvelle.

Enfin, on peut dire que ces démonstrations ne sont recevables que quand on n’en peut donner d’autres ; et que c’est une faute de s’en servir pour prouver ce qui peut se prouver positivement : or, il y a beaucoup de propositions dans Euclide qu’il ne prouve que par cette voie, qui peuvent se prouver autrement sans beaucoup de difficulté.

Défaut IV. Démonstrations tirées par des voies trop éloignées.

Ce défaut est très-commun parmi les géomètres. Ils ne se mettent pas en peine d’où les preuves qu’ils apportent sont prises, pourvu qu’elles soient convaincantes ; et cependant ce n’est que prouver les choses très-imparfaitement que de les prouver par des voies étrangères, d’où elles ne dépendent point selon leur nature.

C’est ce qu’on comprendra mieux par quelques exemples. Euclide, liv. I, propos. 5, prouve qu’un triangle isocèle a les deux angles sur la base égaux en prolongeant également les côtés du triangle, et faisant de nouveaux triangles qu’il compare les uns avec les autres.

Mais il n’est pas incroyable qu’une chose aussi facile à prouver que l’égalité de ces angles ait besoin de tant d’artifice pour être prouvée ; comme s’il y avait rien de plus ridicule que de s’imaginer que cette égalité dépendît de ces triangles étrangers ; au lieu qu’en suivant le vrai ordre, il y a plusieurs voies très-faciles, très-courtes et très-naturelles pour prouver cette même égalité.

La 47e du livre I, où il est prouvé que le carré de la base qui soutient un angle droit est égal aux deux carrés des côtés, est une des plus estimées propositions d’Euclide ; et néanmoins il est assez clair que la manière dont elle est prouvée n’est point naturelle, puisque l’égalité de ces carrés ne dépend point de l’égalité des triangles qu’on prend pour moyen de cette démonstration, mais de la proportion des lignes, qu’il est aisé de démontrer sans se servir d’aucune autre ligne que de la perpendiculaire du sommet de l’angle droit sur la base.

Tout Euclide est plein de ces démonstrations par des voies étrangères.

Défaut V. N’avoir aucun soin du vrai ordre de la nature.

C’est ici le plus grand défaut des géomètres. Ils se sont imaginé qu’il n’y avait presque aucun ordre à garder, sinon que les premières propositions pussent servir à démontrer les suivantes ; et ainsi, sans se mettre en peine des règles de la véritable méthode, qui est de commencer toujours par les choses les plus simples et les plus générales pour passer ensuite aux plus composées et aux plus particulières, ils brouillent toutes choses, et traitent pêle-mêle les lignes et les surfaces, les triangles et les carrés, prouvent, par des figures, les propriétés des lignes simples, et font une infinité d’autres renversements qui défigurent cette belle science.

Les Éléments d’Euclide sont tout pleins de ce défaut. Après avoir traité de l’étendue dans les quatre premiers livres, il traite généralement des proportions de toutes sortes de grandeurs dans le cinquième.