Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/377

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que faussement, si ce n’est par hasard, et on y fera mille faux raisonnements.

Car ces événements étant contingents de leur nature, il serait ridicule d’y chercher une vérité nécessaire ; et ainsi un homme serait tout à fait déraisonnable, qui n’en voudrait croire aucun que quand on lui aurait fait voir qu’il serait absolument nécessaire que la chose se fût passée de la sorte[1].

Et il ne serait pas moins déraisonnable s’il voulait m’obliger d’en croire quelqu’un, comme serait la conversion du roi de la Chine à la religion chrétienne, par cette seule raison que cela n’est pas impossible ; car un autre qui m’assurerait du contraire pouvant se servir de la même raison, il est clair que cela ne pourrait me déterminer à croire l’un plutôt que l’autre.

Il faut donc poser pour cette maxime certaine et indubitable dans cette rencontre, que la seule possibilité d’un événement n’est pas une raison suffisante pour me le faire croire ; et que je puis aussi avoir raison de le croire, quoi que je ne juge pas impossible que le contraire soit arrivé : de sorte que de deux événements je pourrais avoir raison de croire l’un et de ne pas croire l’autre, quoique je les croie tous deux possibles.

Mais par où me déterminerai-je donc à croire l’un plutôt que l’autre, si je les juge tous deux possibles ? Ce sera par cette maxime :

Pour juger de la vérité d’un événement, et me déterminer à le croire ou à ne pas le croire, il ne faut pas le considérer nûment et en lui-même, comme on ferait une proposition de géométrie ; mais il faut prendre garde à toutes les circonstances qui l’accompagnent, tant intérieures qu’extérieures. J’appelle circonstances intérieures celles qui appartiennent au fait même, et extérieures celles qui regardent les personnes par le témoignage desquelles nous sommes portés à le croire. Cela étant fait, si toutes ces circonstances sont telles qu’il n’arrive ja-

  1. Arnauld, par une analyse exacte de la connaissance en matière de vérités contingentes, s’efforce de réfuter le scepticisme historique.