Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/378

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mais, ou fort rarement, que de pareilles circonstances soient accompagnées de fausseté, notre esprit se porte naturellement à croire que cela est vrai, et il a raison de le faire, surtout dans la conduite de la vie, qui ne demande pas une plus grande certitude que cette certitude morale, et qui doit même se contenter en plusieurs rencontres de la plus grande probabilité[1].

Que si, au contraire, ces circonstances ne sont pas telles qu’elles ne se trouvent fort souvent avec la fausseté, la raison veut ou que nous demeurions en suspens, ou que nous tenions pour faux ce qu’on nous dit, quand nous ne voyons aucune apparence que cela soit vrai, encore que nous n’y voyions pas une entière impossibilité.

On demande, par exemple, si l’histoire du baptême de Constantin par saint Sylvestre[2] est vraie ou fausse. Baronius la croit vraie ; le cardinal du Perron[3], l’évêque Sponde[4], le P. Pétau[5], le P. Morin[6] et les plus habiles gens de l’Église la croient fausse. Si l’on s’arrêtait à la seule possibilité, on n’aurait pas droit de la rejeter, car elle ne contient rien d’absolument impossible ; il est même possible, absolument parlant, qu’Eusèbe[7], qui témoigne le contraire, ait voulu mentir pour favoriser les ariens, et que les Pères qui l’ont suivi aient été trompés par son témoignage : mais si l’on se sert de la règle que nous venons d’établir, qui est de considérer quelles sont les circonstances de l’un ou de l’autre baptême de Constantin, et qui sont celles qui ont plus de marques de vérité, on trouvera que ce sont celles du dernier ; car d’une part, il n’y a pas grand sujet de s’appuyer sur le témoignage d’un écrivain aussi fabuleux qu’est l’auteur des actes de saint Sylvestre, qui est le seul ancien qui ait parlé du baptême de Constantin à Rome ; et, de l’autre,

  1. Excellente analyse des conditions de la probabilité historique.
  2. Le pape Silvestre Ier (314 à 346), ami de Constantin.
  3. Archevêque de Sens (né à Saint-Lô en 1556, mort en 1618.)
  4. Henri de Sponde (né en 1568, mort en 1643), évêque de Pamiers.
  5. Pétau (1583-1652), professeur de théologie à Paris.
  6. Jean Morin (1591-1659), prêtre de l’Oratoire.
  7. Eusèbe (267-338), évêque de Césarée, auteur d’une histoire ecclésiastique.