Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/379

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il n’y a aucune apparence qu’un homme aussi habile qu’Eusèbe eût osé mentir en rapportant une chose aussi célèbre qu’était le baptême du premier empereur qui avait rendu la liberté à l’Église, et qui devait être connue de toute la terre lorsqu’il l’écrivait, puisque ce n’était que quatre ou cinq ans après la mort de cet empereur[1].

Il y a néanmoins une exception à cette règle, dans laquelle on doit se contenter de la possibilité et de la vraisemblance ; c’est quand un fait, qui est d’ailleurs suffisamment attesté, est combattu par des inconvénients et des contrariétés apparentes avec d’autres histoires : car alors il suffit que les solutions qu’on apporte à ces contrariétés soient possibles et vraisemblables ; et c’est agir contre la raison que d’en demander des preuves positives, parce que le fait en soi étant suffisamment prouvé, il n’est pas juste de demander qu’on en prouve de la même sorte toutes les circonstances : autrement on pourrait douter de mille histoires très-assurées qu’on ne peut accorder avec d’autres qui ne le sont pas moins que par des conjectures qu’il est impossible de prouver positivement.

On ne saurait, par exemple, accorder ce qui est rapporté dans les Livres des Rois et dans ceux des Paralipomènes des années des règnes de divers rois de Juda et d’Israël, qu’en donnant à quelques-uns de ces rois deux commencements de règne, l’un, du vivant, et l’autre après la mort de leurs pères. Que si l’on demande quelle preuve on a qu’un tel roi ait régné quelque temps avec son père, il faut avouer qu’on n’en a point de positive ; mais il suffit que ce soit une chose possible, et qui est arrivée assez souvent en d’autres rencontres, pour avoir droit de la supposer comme une circonstance nécessaire pour allier des histoires d’ailleurs très-certaines.

C’est pourquoi il n’y a rien de plus ridicule que les efforts qu’ont faits quelques hérétiques de ce dernier siècle

  1. Cette question d’histoire est moins aisée à résoudre qu’Arnauld ne le croit.