Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/384

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il n’y a point de personnes raisonnables qui n’y doivent reconnaître le doigt de Dieu, et ainsi tout ce qui resterait à l’incrédulité serait de douter du témoignage même de saint Augustin, de s’imaginer qu’il a altéré la vérité pour autoriser la religion chrétienne dans l’esprit des païens : or, c’est ce qui ne peut se dire avec la moindre couleur :

Premièrement, parce qu’il n’est point vraisemblable qu’un homme judicieux eût voulu mentir en des choses si publiques, où il aurait pu être convaincu de mensonge par une infinité de témoins : ce qui n’aurait pu tourner qu’à la honte de la religion chrétienne ; secondement, parce qu’il n’y eut jamais personne plus ennemi du mensonge que ce saint, surtout en matière de religion, ayant établi par des livres entiers, non-seulement qu’il n’est jamais permis de mentir, mais que c’est un crime horrible de le faire, sous prétexte d’attirer plus facilement les hommes à la foi.

Et c’est ce qui doit causer un extrême étonnement de voir que les hérétiques de ce temps, qui regardent saint Augustin comme un homme très-éclairé et très-sincère, n’aient pas considéré que la manière dont ils parlent de l’invocation des saints et de la vénération des reliques, comme d’un culte superstitieux et qui tient de l’idolâtrie, va à la ruine de toute la religion : car il est visible que c’est lui ôter un de ses plus solides fondements que d’ôter aux vrais miracles l’autorité qu’ils doivent avoir pour la confirmation de la vérité ; et il est clair que c’est détruire entièrement cette autorité des miracles, que de dire que Dieu en fasse pour récompenser un culte superstitieux et idolâtre. Or, c’est proprement ce que les hérétiques font, en traitant, d’une part, le culte que les catholiques rendent aux saints et à leurs reliques, d’une superstition criminelle ; et ne pouvant nier, de l’autre, que les plus grands amis de Dieu, tel qu’a été saint Augustin, par leur propre confession, ne nous aient assuré que Dieu a guéri des maux incurables, illuminé des aveugles et ressuscité des morts, pour récompenser la dévotion de ceux qui invoquaient les saints et révéraient leurs reliques.

En vérité, cette seule considération devrait faire reconnaître à tout homme de bon sens la fausseté de la religion prétendue réformée.

Je me suis un peu étendu sur cet exemple célèbre du jugement qu’on doit faire de la vérité des faits, pour servir de règle dans les rencontres semblables, parce qu’on s’y égare de la même sorte. Chacun croit que c’est assez pour les décider de faire un lieu commun, qui n’est souvent composé que de maximes, lesquelles non-seulement ne sont pas universellement vraies, mais qui ne sont pas même probables, lorsqu’elles sont jointes avec les circonstances particulières des faits que l’on examine. Il faut joindre les circonstances et non les séparer, parce qu’il arrive souvent qu’un fait qui est peu probable selon une seule circonstance, qui est ordinairement une marque de fausseté, doit être estimé certain selon d’autres circonstances ; et qu’au contraire, un fait qui nous paraîtrait vrai selon une certaine circonstance, qui est d’ordinaire jointe à la vérité, doit être jugé faux selon d’autres qui affaiblissent celle-là, comme on l’expliquera dans le chapitre suivant.