Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

setés, nous n’avons plus alors la même raison de croire cet événement : mais ou notre esprit demeure en suspens, si les circonstances particulières ne font qu’affaiblir le poids des circonstances communes ; ou il se porte à croire que le fait est faux, si elles sont telles qu’elles soient ordinairement des marques de fausseté. Voici un exemple qui peut éclaircir cette remarque.

C’est une circonstance commune à beaucoup d’actes d’être signés par deux notaires, c’est-à-dire par deux personnes publiques qui ont d’ordinaire grand intérêt à ne point commettre de fausseté, parce qu’il y va non-seulement de leur conscience et de leur honneur, mais aussi de leur bien et de leur vie. Cette seule considération suffit, si nous ne savons point d’autres particularités d’un contrat, pour croire qu’il n’est point antidaté ; non qu’il n’y en puisse avoir d’antidatés, mais parce qu’il est certain que de mille contrats, il y en a neuf cent quatre-vingt-dix-neuf qui ne le sont point : de sorte qu’il est incomparablement plus probable que ce contrat que je vois est l’un des neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, que non pas qu’il soit cet unique qui entre mille peut se trouver antidaté. Que si la probité des notaires qui l’ont signé m’est parfaitement connue, je tiendrai alors pour très-certain qu’ils n’y auront point commis de fausseté[1].

Mais si à cette circonstance commune d’être signé par deux notaires, qui m’est une raison suffisante, quand elle n’est point combattue par d’autres, d’ajouter foi à la date d’un contrat, on y joint d’autres circonstances particulières, comme que ces notaires soient diffamés pour être sans honneur et sans conscience, et qu’ils aient pu avoir un grand intérêt à cette falsification, cela ne me fera pas encore conclure que ce contrat est antidaté, mais diminuera le poids qu’aurait eu sans cela dans mon esprit la signature des deux notaires pour me faire croire qu’il ne le serait pas. Que si, de plus, je puis découvrir d’autres

  1. Pascal, auquel les logiciens de Port-Royal ont fait une foule d’emprunts, est l’inventeur du calcul des probabilités, dans lequel on détermine mathématiquement le nombre de chances favorables ou contraires.