Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/387

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preuves positives de cette antidate, ou par témoins, ou par des arguments très-forts, comme serait l’impuissance où un homme aurait été de prêter vingt mille écus en un temps où l’on montrerait qu’il n’aurait pas eu cent écus vaillant, je me déterminerai alors à croire qu’il y a de la fausseté dans ce contrat ; et ce serait une prétention très-déraisonnable de vouloir m’obliger, ou à ne pas croire ce contrat antidaté, ou à reconnaître que j’avais tort de supposer que les autres où je ne voyais pas les mêmes marques de la fausseté ne l’étaient pas, puisqu’ils pouvaient l’être comme celui-là.

On peut appliquer tout ceci à des matières qui causent souvent des disputes parmi les doctes. On demande si un livre est véritablement d’un auteur dont il a toujours porté le nom, ou si les actes d’un concile sont vrais ou supposés.

Il est certain que le préjugé est pour l’auteur qui est depuis longtemps en possession d’un ouvrage, et pour la vérité des actes d’un concile que nous lisons tous les jours, et qu’il faut des raisons considérables pour nous faire croire le contraire, nonobstant ce préjugé.

C’est pourquoi un fort habile homme de ce temps ayant voulu montrer que la lettre de saint Cyprien au pape Étienne sur le sujet de Martien, évêque d’Arles, n’est pas de ce saint martyr, il n’en a pu persuader les savants, ses conjectures ne leur ayant pas paru assez fortes pour ôter à saint Cyprien une pièce qui a toujours porté son nom, et qui a une parfaite ressemblance de style avec ses ouvrages.

C’est en vain aussi que Blondel et Saumaise, ne pouvant répondre à l’argument qu’on tire des lettres de saint Ignace pour la supériorité de l’évêque au-dessus des prêtres dès le commencement de l’Église, ont voulu prétendre que toutes ces lettres étaient supposées, selon même qu’elles ont été imprimées par Isaac Vossius et Ussérius sur l’ancien manuscrit grec de la bibliothèque de Florence ; ils ont été réfutés par ceux même de leur parti, parce qu’avouant, comme ils font, que nous avons les mêmes lettres qui ont été citées par Eusèbe, par saint Jérôme, par Théodoret, et même par Origène, il n’y a nulle apparence que les lettres de saint Ignace, ayant été recueillies par saint Polycarpe, ces véritables lettres soient disparues, et qu’on en ait supposé d’autres dans le temps qui s’est passé entre saint Polycarpe et Origène, ou Eusèbe ; outre que ces lettres de saint Ignace, que nous avons maintenant, ont un certain caractère de sainteté et de simplicité si propre à ces temps