Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/389

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CHAPITRE XVI

Du jugement que l’on doit faire des accidents futurs.


Ces règles, qui servent à juger des faits passés, peuvent facilement s’appliquer aux faits à venir ; car, comme l’on doit croire probablement qu’un fait est arrivé lorsque les circonstances certaines que l’on connaît sont ordinairement jointes avec ce fait, on doit croire aussi probablement qu’il arrivera lorsque les circonstances présentes sont telles qu’elles sont ordinairement suivies d’un tel effet. C’est ainsi que les médecins peuvent juger du bon ou du mauvais succès des maladies, les capitaines des événements futurs d’une guerre, et que l’on juge dans le monde de la plupart des affaires contingentes.

Mais à l’égard des accidents où l’on a quelque part, et que l’on peut ou procurer ou empêcher en quelque sorte par ses soins en s’y exposant ou en les évitant, il arrive à bien des gens de tomber dans une illusion qui est d’autant plus trompeuse qu’elle leur paraît plus raisonnable. C’est qu’ils ne regardent que la grandeur et la conséquence de l’avantage qu’ils souhaitent ou de l’inconvénient qu’ils craignent, sans considérer en aucune sorte l’apparence et la probabilité qu’il y a que cet avantage ou cet inconvénient arrive ou n’arrive pas.

Ainsi, lorsque c’est quelque grand mal qu’ils appréhendent, comme la perte de la vie ou de tout leur bien, ils croient qu’il est de la prudence de ne négliger aucune précaution pour s’en garantir ; et si c’est quelque grand bien, comme le gain de cent mille écus, ils croient que c’est agir sagement que de tâcher de l’obtenir si le hasard en coûte peu, quelque peu d’apparence qu’il y ait qu’on y réussisse.

C’est par un raisonnement de cette sorte qu’une prin-