Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/400

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l’évidence même, c’est l’intelligible ; ce qu’il y a de plus évident pour nous, ce sont les choses sensibles. La pure lumière est trop vive pour nos yeux ; comme des oiseaux de nuit, nous voyons mieux dans l’ombre. Plongés dans le monde des sens, il nous faut apprendre par degrés à discerner les choses de l’entendement sous les formes de l’espace et du temps, et dans la réalité du mouvement. Ainsi se reproduit, dans la sphère même de la science, l’opposition universelle de l’ordre de l’essence et de l’ordre de la génération des choses, de la logique et de l’histoire, de la raison et de l’expérience, de l’idéalité et de la réalité.

Toute science a pour premier principe, dans l’ordre de sa déduction logique, l’idée d’un genre pris dans toute son étendue ; dans l’ordre de sa génération, l’expérience spéciale des individus enveloppés dans l’étendue de ce genre, et qui l’enveloppent à son tour dans leur compréhension. Toute science repose sur une sensation particulière : un sens de moins, un genre de moins ; par suite une science de moins. Cependant, en dehors des genres, il faut encore à toute science l’universel ; au delà des principes propres les principes communs, qui assujettissent à des lois communes toutes les démonstrations. Or l’universalité n’est pas, comme le genre, une possibilité impliquée dans la réalité de certains individus ; ce n’est pas une condition propre à certaines formes spécifiques comme une puissance l’est à son acte : c’est un rapport, une proportion entre tous les genres et toutes les possibilités. L’universel est donc nécessaire à la science en général, indépendamment de toute hypothèse et de toute restriction, et d’une nécessité universelle ; par conséquent les principes communs ne sont point des majeures de démonstrations, ni par conséquent encore, des conclusions d’inductions correspondantes. Ils ne se renferment pas dans les limites d’un genre défini et dans une sphère définie de la sensibilité. Ce n’est donc pas l’expérience qui nous les donne, comme elle nous donne les principes propres. Nécessaires à toute pensée, supérieurs à toute expérience, ce sont des possessions naturelles, non des acquisitions ; ce sont des habitudes primitives de l’intelligence.

Les principes universels seraient-ils donc en nous, de tout temps, comme une science toute faite ? Nous n’en avons pourtant nulle conscience avant de les avoir appliqués dans quelque cas particulier : or les principes sont par eux-mêmes