Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/401

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plus intelligibles que les conséquences. Ne serait-il pas étrange que la plus haute et la plus puissante des sciences demeurât cachée dans l’âme sans qu’elle s’en aperçût ? Les principes universels ne résident donc pas en nous avant toute expérience, sous la forme définie de conceptions actuelles, et dans l’acte de la pensée. C’est à l’expérience qu’il appartient encore de les faire arriver à l’acte : seulement il n’est plus besoin ici de l’énumération préalable de la totalité ou même du plus grand nombre des cas particuliers auxquels le principe s’applique. Dès la première expérience du rapport de deux termes universels, dans un genre quelconque, l’induction peut étendre le même rapport à tous les genres possibles avec une infaillible certitude. Dès la première expérience, elle peut établir comme nécessaire la proportion ou analogie qui fait l’essence de tout principe universel. Les axiomes ne sont pas dans l’âme seulement en puissance comme toutes les propositions contingentes qu’elle pourra concevoir un jour : ce sont en elle des dispositions prochaines, des habitudes toutes prêtes à l’acte ; aussi, lorsqu’elle applique ces principes, il ne lui semble point qu’elle apprenne, mais qu’elle reconnaisse : sa science lui semble réminiscence. On ne sait pourtant pas, avant l’expérience, l’individualité ou la réalité que l’expérience seule peut découvrir ; on ne sait pas que telle figure donnée a pour somme de ses angles deux angles droits avant de savoir que c’est un triangle, et il est faux que la science, d’une manière absolue, ne soit que réminiscence. Mais ce que l’âme possède d’avance, sans en avoir encore fait usage, sans savoir même qu’elle le possède, c’est le principe qui enveloppe dans son universalité toutes les particularités possibles.

La science de l’universel n’est pas en nous toute faite par avance, et elle ne s’engendre pas non plus de l’expérience par un mouvement successif : c’est une puissance prochaine que rien ne sépare de l’acte qu’un obstacle à l’extérieur, et qui, comme toute habitude, entre en acte dès que l’obstacle est levé. L’âme, sous le poids de la chair au commencement de la vie, est comme ensevelie dans le sommeil : elle n’a qu’à s’éveiller. Comme un homme qui sort de l’ivresse, ou qui de la maladie revient à la santé, il ne s’agit pas pour elle de devenir autre qu’elle n’était, mais de redevenir elle-même. Pour entrer en possession des principes de la pensée, elle ne subit pas de changement et d’altération. Ce n’est pas