Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/408

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fondée. Ces deux histoires naturelles, qui diffèrent sous tant d’autres rapports, diffèrent surtout en ce que la première contient seulement la variété des espèces naturelles, et non les expériences fondamentales des arts mécaniques. En effet, de même que dans un État, la portée de chaque esprit, et le génie particulier de son caractère et de ses secrets penchants se montre mieux dans une époque de troubles que dans toute autre ; de même, les secrets de la nature se manifestent mieux sous le fer et le feu des arts, que dans le cours tranquille de ses opérations accoutumées. Ainsi donc il faudra bien espérer de la philosophie naturelle, alors que l’histoire naturelle, qui en est la base et le fondement, suivra une meilleure méthode ; mais auparavant tout espoir serait vain.

D’un autre côté, parmi les expériences relatives aux arts mécaniques, nous trouvons une véritable disette de celles qui sont le plus propres à conduire l’esprit aux lois générales. Le mécanicien qui ne se met nullement en peine de rechercher la vérité, ne donne son attention et ne met la main qu’à ce qui peut faciliter son opération. Mais on ne pourra concevoir une espérance bien fondée du progrès ultérieur des sciences, que lorsque l’on recevra et l’on rassemblera dans l’histoire naturelle une foule d’expériences qui ne sont par elles-mêmes d’aucune utilité pratique, mais qui ont une grande importance pour la découverte des causes et des lois générales ; expériences que nous appelons lumineuses, pour les distinguer des fructueuses, et qui ont cette admirable vertu de ne jamais tromper ni décevoir. Comme leur emploi n’est pas de produire quelque opération, mais de révéler une cause naturelle, quel que soit l’événement, il répond toujours également bien à nos désirs, puisqu’il donne une solution à la question.

Non-seulement il faut rechercher et recueillir un plus grand nombre d’expériences, et d’un autre genre, qu’on ne l’a fait jusqu’aujourd’hui, mais encore il faut employer une méthode toute différente, et suivre un autre ordre et une autre disposition dans l’enchaînement et la gradation des expériences. Une expérience vague et qui n’a d’autre but qu’elle-même, comme nous l’avons déjà dit, est un pur tâtonnement, plutôt fait pour étouffer que pour éclairer l’esprit de l’homme ; mais, lorsque l’expérience suivra des règles certaines, et s’avancera graduellement dans un ordre méthodique, alors on pourra espérer mieux des sciences.