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SECOND DISCOURS

CONTENANT LA RÉPONSE AUX PRINCIPALES OBJECTIONS QU’ON A FAITES CONTRE CETTE LOGIQUE.


Tous ceux qui se portent à faire part au public de quelques ouvrages doivent en même temps se résoudre à avoir autant de juges que de lecteurs, et cette condition ne doit leur paraître ni injuste ni onéreuse ; car, s’ils sont vraiment désintéressés, ils doivent en avoir abandonné la propriété en les rendant publics, et les regarder ensuite avec la même indifférence qu’ils feraient des ouvrages étrangers[1].

Le seul droit qu’ils peuvent s’y réserver légitimement est celui de corriger ce qu’il y aurait de défectueux, à quoi ces divers jugements qu’on fait des livres sont extrêmement avantageux ; car ils sont toujours utiles lorsqu’ils sont justes, et ils ne nuisent de rien lorsqu’ils sont injustes, parce qu’il est permis de ne pas les suivre.

La prudence veut néanmoins qu’en plusieurs rencontres on s’accommode à ces jugements qui ne nous semblent pas justes ; parce que, s’ils ne nous font pas voir que ce qu’on reprend soit mauvais, ils nous font voir au moins qu’il n’est pas proportionné à l’esprit de ceux qui le reprennent. Or, il est sans doute meilleur, lorsqu’on peut le faire sans tomber en quelque plus grand inconvénient, de choisir un tempérament si juste, qu’en contentant les personnes judicieuses, on ne mécontente pas ceux qui ont le jugement moins exact ; puisque l’on ne doit pas supposer qu’on n’aura que des lecteurs habiles et intelligents.

Ainsi il serait à désirer qu’on ne considérât les premières éditions des livres que comme des essais informes

  1. Réflexion d’une haute moralité que les écrivains devraient toujours avoir présente à l’esprit ; c’est pour ainsi dire la règle du désintéressement littéraire.