Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/416

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se renfermer dans la connaissance de pareilles bagatelles ; rien de plus inutile que de s’attacher à ces démonstrations superficielles que l’on découvre plutôt par hasard qu’avec l’aide de la science, et qui s’adressent plutôt à l’imagination et aux yeux qu’à l’intelligence, au point de perdre en quelque sorte l’habitude de raisonner. Rien enfin de plus difficile que de dégager par cette méthode les difficultés nouvelles qui se présentent, de la confusion des nombres qui les enveloppent. Mais quand je me demandai d’où venait que les premiers inventeurs de la philosophie ne voulaient admettre à l’étude de la sagesse personne qui ne possédât les mathématiques, comme si cette science leur eût paru la plus facile et la plus nécessaire pour former et préparer l’esprit à en comprendre de plus hautes, je soupçonnai qu’ils connaissaient certaines mathématiques fort différentes des mathématiques vulgaires de notre temps. Non pas que je croie qu’ils aient parfaitement connu cette science ; leurs folles joies et les sacrifices qu’ils offraient lorsqu’ils faisaient quelque légère découverte prouvent clairement combien ils étaient peu avancés sur ce point. Ces machines qu’ils auraient inventées, et que les historiens nous vantent, n’ébranlent pas mon opinion ; car bien qu’elles aient été peut-être fort simples, il n’est pas étonnant qu’elles aient été célébrées comme des prodiges par une multitude ignorante et facile à émerveiller. Toutefois, je suis convaincu que les premiers germes de vérité qui ont été déposés par la nature dans l’esprit de l’homme, et que nous étouffons en nous en lisant et en écoutant chaque jour tant d’erreurs, avaient une telle force dans cette naïve et simple antiquité que les hommes, à l’aide de la même lumière intellectuelle qui leur faisait voir qu’on doit préférer la vertu au plaisir et l’honnête à l’utile, bien qu’ils ignorassent la raison de cette préférence, s’étaient formé des idées vraies sur la philosophie et sur les mathématiques, quoiqu’ils ne pussent encore comprendre parfaitement ces sciences. Or, il me semble que quelques traces de ces mathématiques véritables se trouvent encore dans Pappus et Diophante, qui, sans appartenir aux premiers âges, vivaient cependant bien des siècles avant nous. Mais je serais porté à croire que par une ruse coupable ces écrivains eux-mêmes ont exprimé par la suite les passages qui en traitaient. Car de même qu’on a vu beaucoup d’artisans dérober le secret de leurs inventions, eux aussi, craignant peut-être que la facilité et la simplicité de leur méthode ne