Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/43

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contente de dire « l’art de peindre, l’art de conter, » parce qu’on suppose qu’il ne faut point d’art pour mal peindre ni pour mal conter.

On a fait une objection beaucoup plus considérable contre cette multitude de choses tirées de différentes sciences que l’on trouve dans cette Logique ; et, parce qu’elle en attaque tout le dessein, et nous donne ainsi lieu de l’expliquer, il est nécessaire de l’examiner avec plus de soin. — À quoi bon, disent-ils, toute cette bigarrure de rhétorique, de morale, de physique, de métaphysique, de géométrie ? Lorsque nous pensons trouver des préceptes de logique, on nous transporte tout d’un coup dans les plus hautes sciences, sans s’être informé si nous les avions apprises. Ne devait-on pas supposer, au contraire, que si nous avions déjà toutes ces connaissances, nous n’aurions pas besoin de cette Logique ? Et n’eût-il pas mieux valu nous en donner une toute simple et toute nue, où les règles fussent expliquées par des exemples tirés des choses communes, que de les embarrasser de tant de matières qui les étouffent ?

Mais ceux qui raisonnent de cette sorte n’ont pas assez considéré qu’un livre ne saurait guère avoir de plus grand défaut que de n’être pas lu, puisqu’il ne sert qu’à ceux qui le lisent ; et qu’ainsi tout ce qui contribue à faire lire un livre contribue aussi à le rendre utile. Or, il est certain que, si on avait suivi leur pensée et que l’on eût fait une Logique toute sèche, avec les exemples ordinaires d’animal et de cheval, quelque exacte et quelque méthodique qu’elle eût pu être, elle n’eût fait qu’augmenter le nombre de tant d’autres, dont le monde est plein, et qui ne se lisent point. Au lieu que c’est justement cet amas de différentes choses qui a donné quelque cours à celle-ci, et qui la fait lire avec un peu moins de chagrin qu’on ne fait les autres.

Mais ce n’est pas là néanmoins la principale vue qu’on a eue dans ce mélange, que d’attirer le monde à la lire, en la rendant plus divertissante que ne le sont les Logiques ordinaires. On prétend, de plus, avoir suivi la voie la plus naturelle et la plus avantageuse de traiter cet art, en remédiant, autant qu’il se pouvait, à un inconvénient qui en rend l’étude presque inutile.

Car l’expérience fait voir que, sur mille jeunes gens qui apprennent la logique, il n’y en a pas dix qui en sachent quelque chose six mois après qu’ils ont achevé leurs cours. Or, il semble que la véritable cause de cet oubli ou de cette négligence si commune soit que, toutes les matières que l’on traite dans la logique étant d’elles-mêmes très-abstraites et très-éloignées de l’usage, on les joint encore à des exemples peu agréables, et dont on ne parle jamais ailleurs ; et ainsi l’esprit, qui ne s’y attache qu’avec peine, n’a rien qui l’y retienne attaché, et perd aisément toutes les idées qu’il en avait conçues, parce qu’elles ne sont jamais renouvelées par la pratique.

De plus, comme ces exemples communs ne font pas assez comprendre que cet art puisse être appliqué à quelque chose d’utile, ils s’accoutument à renfermer la logique dans la logique, sans l’étendre plus loin, au lieu qu’elle n’est faite que pour servir d’instrument aux autres