Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/442

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hérésies, et ceux qui les soutenaient excommuniés comme des hérétiques par quelques évêques ; parce que les passions causant des factions, les factions produisent de ces vérités ou de ces erreurs aussi inconstantes que la cause qui les excite. Par exemple, les hommes sont indifférents à l’égard de la stabilité de la terre et de la forme de corporéité ; mais ils ne sont point indifférents pour ces opinions lorsqu’elles sont soutenues par ceux qu’ils haïssent. Ainsi l’aversion soutenue par quelque sentiment confus de piété fait naître un zèle indiscret, qui s’échauffe et qui s’allume peu à peu, et qui produit enfin de ces événements qui ne paraissent étranges à tout le monde que longtemps après qu’ils sont arrivés.

On a de la peine à s’imaginer que la passion aille jusque-là ; mais c’est que l’on ne sait pas que nos passions s’étendent à tout ce qui les peut satisfaire. Aman ne voulait peut-être point de mal à tout le peuple juif ; mais Mardochée ne le salue pas, il est Juif : il faut donc perdre toute la nation, la vengeance en sera plus magnifique.

Il s’agit, entre des plaideurs, de savoir qui a droit à une terre : ils ne devraient apporter que leurs titres et ne dire que ce qui a rapport à leur affaire, ou qui la peut rendre meilleure. Cependant ils ne manquent pas de dire toute sorte de mal les uns des autres, de se contredire en toutes choses, de former des contestations et des accusations inutiles, et d’embrouiller leur procès d’une infinité d’accessoires qui confondent le principal. Enfin toutes les passions s’étendent aussi loin que la vue de l’esprit de ceux qui en sont émus ; je veux dire qu’il n’y a aucune chose que nous pensions avoir quelque rapport avec l’objet de nos passions, à laquelle le mouvement de ces passions ne s’étende. Et voici comment cela se fait.

Comment les passions se justifient. Les faux savants.

Tous les hommes désirent naturellement de savoir, car tout esprit est fait pour la vérité ; mais le désir de savoir, tout juste et tout raisonnable qu’il est en lui-même, devient souvent un vice très-dangereux par les faux jugements qui l’accompagnent. La curiosité offre souvent à l’esprit de vains objets de ses méditations et de ses veilles : elle attache souvent à ces objets de fausses idées de grandeur ; elle les relève par l’éclat trompeur de la rareté, et elle les représente si couverts