Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/453

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L’art de discuter.

L’art de discuter ou de combattre par raisons (où je comprends ici l’allégation des autorités et des exemples), est très-grand et très-important ; mais par malheur il est fort mal réglé, et c’est aussi pour cela que souvent on ne conclut rien ou qu’on conclut mal. C’est pourquoi j’ai eu plus d’une fois le dessein de faire des remarques sur les colloques des théologiens, dont nous avons des relations, pour montrer les défauts qui s’y peuvent remarquer, et les remèdes qu’on y pourrait employer. Dans des consultations sur les affaires, si ceux qui ont le plus de pouvoir n’ont pas l’esprit fort solide, l’autorité ou l’éloquence l’emportent ordinairement quand elles sont bandées contre la vérité. En un mot, l’art de conférer et de disputer aurait besoin d’être tout refondu. Pour ce qui est de l’avantage de celui qui parle le dernier, il n’a presque lieu que dans les conversations libres ; car dans les conseils les suffrages vont par ordre, soit qu’on commence ou qu’on finisse par le dernier en rang. Il est vrai que c’est ordinairement au président de commencer et de finir, c’est-à-dire de proposer et de conclure ; mais il conclut selon la pluralité des voix. Et dans les disputes académiques, c’est le répondant ou le soutenant qui parle le dernier, et le champ de bataille lui demeure presque toujours par une coutume établie. Il s’agit de le tenter, et non pas de le confondre ; autrement ce serait agir en ennemi. Et pour dire le vrai, il n’est presque point question de la vérité dans ces rencontres ; aussi soutient-on en différents temps des thèses opposées dans la même chaire. On montra à Casaubon la salle de la Sorbonne, et on lui dit : « Voici un lieu l’on a disputé durant tant de siècles. » Il répondit : « Qu’y a-t-on conclu ? »

Philalèthe. On a pourtant voulu empêcher que la dispute n’allât à l’infini, et faire qu’il y eût moyen de décider entre deux combattants également experts, afin qu’elle n’engageât pas dans une suite infinie de syllogismes. Et ce moyen a été d’introduire certaines propositions générales, la plupart évidentes par elles-mêmes, et qui, étant de nature à être reçues de tous les hommes avec un entier consentement, devaient être considérées comme des mesures générales de la vérité, et tenir lieu de principes (lorsque les disputants n’en avaient