Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/472

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par conséquent, il s’annihilerait lui-même. Nous douterions que nous doutons. En tant que contenue, — donnée, — dans la conscience, l’opposition de l’esprit qui connaît et de la matière qui est connue ne peut être niée.

Mais on peut admettre tout le phénomène comme donné dans la conscience et pourtant contester sa conséquence. La conscience, dira-t-on peut-être, donne le sujet mental comme percevant un objet extérieur, distingué du sujet en tant que perçu : tout ceci nous ne le nions pas, nous ne pouvons pas le nier. Mais la conscience n’est qu’un phénomène ; l’opposition entre le sujet et l’objet peut n’être qu’apparente et non réelle ; l’objet donné comme une réalité extérieure peut n’être qu’une représentation mentale que l’esprit est déterminé sans le savoir à produire en vertu d’une loi que nous ne connaissons pas et qu’il prend pour une chose différente de lui-même. On peut dire tout cela et le croire, sans se contredire et même l’immense majorité des philosophes modernes le dit et le croit.

C’est d’une manière analogue que, dans un acte de mémoire, la conscience relie une existence présente à une existence passée. Je ne puis nier le phénomène actuel, parce que ma négation se détruirait elle-même ; mais je peux, sans me contredire, soutenir que la conscience peut être un faux témoin pour ce qui est d’une existence antérieure ; et je peux soutenir, si je veux, que la mémoire du passé, dans la conscience, n’est rien qu’un phénomène qui n’a pas de réalité en dehors du présent. Il y a bien d’autres faits de conscience que nous ne pouvons pas nous dispenser d’admettre à titre de phénomènes mentaux, mais nous pouvons ne pas croire qu’ils garantissent rien de plus que leur propre existence phénoménale. Je n’examine pas à présent si ce doute est légitime, mais s’il est possible ; tout ce que j’ai maintenant en vue, c’est de montrer que nous ne devons pas confondre, comme on l’a fait, deux faits d’une signification différente et deux témoignages de portée bien différente en faveur de leur réalité. M. Stewart, entre autres, a commis cette erreur…

On me permettra de dire avec tout le respect que mérite l’opinion d’un philosophe aussi distingué que M. Stewart, que je regarde comme insoutenable son affirmation que l’existence présente des phénomènes de conscience, et la réalité des objets dont ils portent témoignage, reposent sur une base également solide. Le second fait, l’objet du témoignage, peut être digne de toute créance, et je m’accorde avec M. Stewart à penser qu’il en est ainsi ; mais pourtant il ne repose pas sur un fondement aussi solide que le fait du témoignage lui-même. M. Stewart avoue que les sceptiques les plus hardis n’ont jamais avancé un doute sur le premier ; mais le dernier, au contraire, en tant qu’il nous assure une connaissance immédiate du monde extérieur (c’est ainsi que parle M. Stewart), a été mis en doute et même nié non-seulement par les sceptiques, mais encore par les philosophes modernes à peu près unanimement. L’histoire créerait donc d’elle-même une forte présomption en faveur de l’opinion que les deux faits doivent reposer