Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/5

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» Il serait à désirer qu’on ne considérât les premières éditions des livres que comme des essais informes que ceux qui en sont auteurs proposent aux personnes de lettres pour en apprendre leurs sentiments, et qu’ensuite, sur les différentes vues que leur donneraient ces différentes pensées, ils y travaillassent tout de nouveau pour mettre leurs ouvrages dans la perfection où ils sont capables de les porter.

» C’est la conduite qu’on aurait bien désiré de suivre dans la seconde édition de cette Logique.

» S’il se trouvait des personnes qui prétendissent qu’il n’est permis en aucune sorte de témoigner, comme nous l’avons fait, qu’on n’est pas du sentiment d’Aristote, il serait aisé de leur faire voir que cette délicatesse n’est pas raisonnable.

» Car si l’on doit de la déférence à quelques philosophes, ce ne peut être que par deux raisons : ou dans la vue de la vérité qu’ils auraient suivie, ou dans la vue de l’opinion des hommes qui les approuvent.

» Dans la vue de la vérité, on leur doit du respect lorsqu’ils ont raison ; mais la vérité ne peut obliger de respecter la fausseté en qui que ce soit.

» Pour ce qui regarde le consentement des hommes dans l’approbation d’un philosophe, il est certain qu’il mérite aussi quelque respect.

» Mais lorsque le monde est partagé touchant les opinions d’un auteur, et qu’il y a des personnes considérables de côté et d’autre, on n’est plus obligé à cette réserve, et l’on peut librement déclarer ce qu’on approuve ou ce qu’on n’approuve pas.

» C’est proprement l’état où se trouve maintenant la philosophie d’Aristote. L’on écrit tous les jours librement en France, en Flandre, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, pour et contre la philosophie d’Aristote : les conférences de Paris sont partagées aussi bien que les livres, et personne ne s’offense qu’on s’y déclare contre lui. Les plus célèbres professeurs ne s’obligent plus à cette servitude de recevoir aveuglément tout ce qu’ils trouvent dans ses livres, et il y a même de ses opinions qui sont généralement bannies ; car qui est le médecin qui voulût soutenir maintenant que les nerfs viennent du cœur, comme Aristote l’a cru, puisque l’anatomie fait voir clairement qu’ils tirent leur origine du cerveau ?

LA LOGIQUE, OU L’ART DE PENSER.

» La logique est l’art de bien conduire sa raison dans la connaissance des choses, tant pour s’instruire soi-même que pour en instruire les autres.

» Cet art consiste dans les réflexions que les hommes ont faites sur les quatre principales opérations de leur esprit, concevoir, juger, raisonner et ordonner.

» On appelle concevoir la simple vue que nous avons des choses qui se présentent à notre esprit, comme nous nous représentons un soleil, une terre, un arbre, un rond, un carré, la pensée, l’être, sans en former aucun jugement exprès ; et la forme par laquelle nous nous représentons ces choses s’appelle idée.

» On appelle juger l’action de notre esprit par laquelle, joignant ensemble diverses idées, il affirme de l’une qu’elle est l’autre, ou nie de l’une qu’elle soit l’autre, comme lorsqu’ayant l’idée de la terre et l’idée du rond, j’affirme de la terre qu’elle est ronde, ou je nie qu’elle soit ronde.