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» On appelle raisonner l’action de notre esprit par laquelle il forme un jugement de plusieurs autres ; comme lorsque ayant jugé que la véritable vertu doit être rapportée à Dieu, et que la vertu des païens ne lui était pas rapportée, il en conclut que la vertu des païens n’était pas une véritable vertu.

» On appelle ici ordonner l’action de l’esprit par laquelle, ayant sur un même sujet, comme sur le corps humain, diverses idées, divers jugements et divers raisonnements, il les dispose en la manière la plus propre pour faire connaître ce sujet. C’est ce qu’on appelle encore méthode.

» De tout ce que nous venons de dire, il s’ensuit que la logique peut être divisée en quatre parties, selon les diverses réflexions que l’on fait sur ces quatre opérations de l’esprit.


PREMIÈRE PARTIE. — contenant les réflexions sur les idées, ou sur la première action de l’esprit qui s’appelle concevoir.

» On peut réduire les réflexions suivantes à cinq chefs, selon les cinq manières dont nous considérons les idées :

» La première, selon leur nature et leur origine ;

» La deuxième, selon la principale différence des objets qu’elles représentent ;

» La troisième, selon leur simplicité ou composition, où nous traiterons de l’abstraction ;

» La quatrième, selon leur étendue ou restriction, c’est-à-dire leur universalité, particularité, singularité ;

» La cinquième, selon leur clarté et obscurité, ou distinction et confusion.


CHAPITRE Ier. — Des idées selon leur nature et leur origine.

» Le mot d’idée est du nombre de ceux qui sont si clairs qu’on ne peut les expliquer par d’autres, parce qu’il n’y en a point de plus clairs et de plus simples.

» Mais tout ce qu’on peut faire pour empêcher qu’on ne s’y trompe, est de marquer la fausse intelligence qu’on pourrait donner à ce mot.

» La plupart croient ne pouvoir concevoir une chose quand ils ne se la peuvent imaginer, c’est-à-dire se la représenter sous une image corporelle, comme s’il n’y avait en nous que cette seule manière de penser et de concevoir.

» Lorsque je m’imagine un triangle, je ne le conçois pas seulement comme une figure terminée par trois lignes droites : mais, outre cela, je considère ces trois lignes comme présentes, par la force et l’application intérieure de mon esprit, et c’est proprement ce qui s’appelle imaginer. Que si je veux penser à une figure de mille angles, je conçois bien, à la vérité, que c’est une figure de mille côtés, aussi facilement que je conçois qu’un triangle est une figure composée de trois côtés seulement ; mais je ne puis m’imaginer les mille côtés de cette figure, ni pour ainsi dire les regarder comme présents avec les yeux de mon esprit.

» Que concevons-nous plus clairement que notre pensée lorsque nous pensons ? Et cependant il est impossible de s’imaginer une pensée, ni d’en peindre aucune image dans notre cerveau.