Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/59

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objection éloignée du sentiment de celui qui la propose ; mais comme, étant prises assertivement[1], elles iraient à ruiner l’immortalité de l’âme, il est important d’en faire voir la fausseté ; ce qui ne sera pas difficile, car les conventions dont parle ce philosophe ne peuvent avoir été que l’accord que les hommes ont fait de prendre de certains sons pour être signes des idées que nous avons dans l’esprit. De sorte que si, outre les noms, nous n’avions en nous-mêmes les idées des choses, cette convention aurait été impossible, comme il est impossible par aucune convention de faire entendre à un aveugle ce que veut dire le mot de rouge, de vert, de bleu, parce que n’ayant point de ces idées, il ne peut les joindre à aucun son.

De plus, les diverses nations ayant donné divers noms aux choses, et même aux plus claires et aux plus simples, comme à celles qui sont les objets de la géométrie, ils n’auraient pas les mêmes raisonnements touchant les mêmes vérités, si le raisonnement n’était qu’un assemblage de noms par le mot est.

Et comme il paraît, par ces divers mots, que les Arabes, par exemple, ne sont pas convenus avec les Français pour donner les mêmes significations aux sons, ils ne pourraient aussi convenir dans leurs jugements et leurs raisonnements, si leurs raisonnements dépendaient de cette convention.

Enfin, il y a une grande équivoque dans ce mort d’arbitraire, quand on dit que la signification des mots est arbitraire, car il est vrai que c’est une chose purement arbitraire que de joindre une telle idée à un tel son plutôt qu’à un autre ; mais les idées ne sont point des choses arbitraires et qui dépendent de notre fantaisie, au moins celles qui sont claires et distinctes, et, pour le montrer évidemment, c’est qu’il serait ridicule de s’imaginer que des effets très-réels pussent dépendre de choses purement arbitraires. Or, quand un homme a conclu par son

  1. Assertivement, c’est-à-dire affirmativement et au pied de la lettre.