Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/60

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raisonnement que l’axe de fer qui passe par les deux meules du moulin pourrait tourner sans faire tourner celle de dessous, si, étant rond, il passait par un trou rond, mais qu’il ne pourrait tourner sans faire tourner celle de dessus, si, étant carré, il était emboîté dans un trou carré de cette meule de dessus, l’effet qu’il a prétendu s’ensuit infailliblement, et, par conséquent, son raisonnement n’a point été un assemblage de noms, selon une convention qui aurait entièrement dépendu de la fantaisie des hommes, mais un jugement solide et effectif de la nature des choses par la considération des idées qu’il en a dans l’esprit, lesquelles il a plu aux hommes de marquer par de certains noms.

Nous voyons donc assez ce que nous entendons par le mot d’idée ; il ne reste plus qu’un mot à dire de leur origine.


Toute la question est de savoir si toutes nos idées viennent de nos sens, et si l’on doit passer pour vraie cette maxime commune : Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu[1].

C’est le sentiment d’un philosophe[2] qui est estimé dans le monde, et qui commence sa logique par cette proposition : Omnis idea ortum ducit a sensibus : « Toute idée tire son origine des sens. » Il avoue néanmoins que toutes nos idées n’ont pas été dans nos sens telles qu’elles sont dans notre esprit, mais il prétend qu’elles ont été au moins formées de celles qui ont passé par nos sens, ou par composition, comme lorsque, des images séparées de l’or et d’une montagne, on s’en fait une montagne d’or ; ou par ampliation et diminution, comme lorsque de l’image d’un homme d’une grandeur ordinaire, on s’en forme un géant ou un pygmée ; ou par accommodation et proportion, comme lorsque de l’idée d’une maison qu’on a vue, on s’en forme l’image d’une maison qu’on

  1. C’est la maxime des stoïciens et des péripatéticiens sensualistes. Leibnitz dit qu’il faut ajouter : nisi intellectus ipse.
  2. Pierre Gassendi, né près de Digne, en 1592, mot en 1655.