Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/62

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formées, ou par composition, ou par ampliation, ou par diminution, ou par proportion[1]. Que si l’on ne peut rien répondre à tout cela qui ne soit déraisonnable, il faut avouer que les idées de l’être et de la pensée ne tirent en aucune sorte leur origine des sens, mais que notre âme a la faculté de les former de soi-même, quoiqu’il arrive souvent qu’elle est excitée à le faire par quelque chose qui frappe les sens ; comme un peintre peut être porté à faire un tableau par l’argent qu’on lui promet, sans qu’on puisse dire pour cela que le tableau a tiré son origine de l’argent.

Mais ce qu’ajoutent ces mêmes auteurs, que l’idée que nous avons de Dieu tire son origine des sens, parce que nous le concevons sous l’idée d’un vieillard vénérable, est une pensée qui n’est digne que des anthropomorphistes[2], ou qui confond les véritables idées que nous avons des choses spirituelles avec les fausses imaginations que nous en formons par une mauvaise accoutumance de se vouloir tout imaginer, au lieu qu’il est aussi absurde de se vouloir imaginer ce qui n’est point corporel que de vouloir ouïr des couleurs et voir des sons.

Pour réfuter cette pensée, il ne faut que considérer que, si nous n’avions pas d’autre idée de Dieu que celle d’un vieillard vénérable, tous les jugements que nous ferions de Dieu nous devraient paraître faux, lorsqu’ils seraient contraires à cette idée ; car nous sommes portés naturellement à croire que nos jugements sont faux, quand nous voyons clairement qu’ils sont contraires aux idées que nous avons des choses ; et ainsi nous ne pourrions juger avec certitude que Dieu n’a point de parties, qu’il n’est point corporel, qu’il est partout, qu’il est invisible, puisque tout cela n’est point conforme à l’idée d’un vénérable vieillard[3]. Que si Dieu s’est quelquefois représenté sous

  1. Ce sont les différents procédés par lesquels, selon Épicure, nous transformons les idées des sens. Voir notre édition du De finibus, Préface.
  2. L’anthropomorphisme consiste à se figurer Dieu à notre image (ἀνθρώπου μορφή).
  3. Gassendi n’a pas voulu dire que l’image d’un vénérable vieillard fût toute notre idée de Dieu, mais qu’elle est une des images dont peut se composer cette idée.