Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/63

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cette forme, cela ne fait pas que ce soit là l’idée que nous en devions avoir, puisqu’il faudrait aussi que nous n’eussions point d’autre idée du Saint-Esprit que celle d’une colombe parce qu’il s’est représenté sous la forme d’une colombe ; ou que nous conçussions Dieu comme un son, parce que le son du nom de Dieu nous sert à nous en réveiller l’idée.

Il est donc faux que toutes nos idées viennent de nos sens ; mais on peut dire, au contraire, que nulle idée qui est dans notre esprit ne tire son origine des sens, sinon par occasion, en ce que les mouvements qui se font dans notre cerveau, qui est tout ce que peuvent faire nos sens, donnent occasion à l’âme de se former diverses idées qu’elle ne se formerait pas sans cela, quoique presque toujours ces idées n’aient rien de semblable à ce qui se fait dans les sens et dans le cerveau, et qu’il y ait de plus un très-grand nombre d’idées qui, ne tenant rien du tout d’aucune image corporelle, ne peuvent, sans une absurdité visible, être rapportées à nos sens.

Que si l’on objecte qu’en même temps que nous avons l’idée des choses spirituelles, comme de la pensée, nous ne laissons pas de former quelque image corporelle, au moins du son qui la signifie, on ne dira rien de contraire à ce que nous avons prouvé : car cette image du son de pensée que nous nous imaginons n’est point l’image de la pensée même, mais seulement d’un son ; et elle ne peut servir à nous la faire concevoir qu’en tant que l’âme, s’étant accoutumée, quand elle conçoit ce son, de concevoir aussi la pensée, se forme en même temps une idée toute spirituelle de la pensée, qui n’a aucun rapport avec celle du son, mais qui y est seulement liée par l’accoutumance, ce qui se voit en ce que les sourds, qui n’ont point d’image des sons, ne laissent pas d’avoir des idées de leurs pensées, au moins lorsqu’ils font réflexion sur ce qu’ils pensent[1].

  1. Il est utile de comparer ce chapitre d’Arnauld avec les pages correspondantes de la Logique de Bossuet.
    « Il faut examiner, avant toutes choses, ce que c’est que l’entendement.
    » Entendre, c’est connaître le vrai et le faux, et discerner l’un d’avec