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CHAPITRE II

Des idées, considérées selon leurs objets.


Tout ce que nous concevons est représenté à notre es-

    l’autre. C’est ce qui fait la différence entre cet acte et tous les autres.
    » Par les sens l’âme reçoit des objets certaines impressions qui s’appellent sensations. Par l’imagination elle reçoit simplement et conserve ce qui lui est apporté par les sens. Par l’entendement elle juge de tout, et connaît ce qu’il faut penser, tant des objets que des sensations.
    » Elle fait quelque chose de plus, elle s’élève au-dessus des sens, et entend certains objets où les sens ne trouvent aucune prise, par exemple Dieu, elle-même, les autres âmes semblables à elle, et certaines vérités universelles.
    » Voilà ce qui s’appelle entendement. Il nous apprend à corriger les illusions des sens et de l’imagination, par un juste discernement du vrai et du faux. Je vois un bâton dans l’eau, comme rompu ; tous les objets me paraissent jaunes ; je m’imagine, dans l’obscurité, voir un fantôme : la lumière de l’entendement vient au-dessus, et me fait connaître ce qui en est.
    » Il juge, non-seulement des sensations, mais de ses propres jugements, qu’il redresse, ou qu’il confirme, après une plus exacte perquisition de la vérité, parce que la faculté de réfléchir, qui lui est propre, s’étend sur tous les objets, sur toutes les facultés et sur lui-même.
    » Nous entendons la vérité par le moyen des idées, et il faut ici les définir.
    » Nous nous servons quelquefois du mot d’idée pour signifier les images qui se font en notre esprit, lorsque nous imaginons quelque objet particulier ; par exemple, si je m’imagine le château de Versailles, et que je me représente en moi-même comme il est fait ; si je m’imagine la taille ou le visage d’un homme, je dis que j’ai l’idée de ce château ou de cet homme. Les peintres disent indifféremment qu’ils font un portrait d’imagination ou d’idée, quand ils peignent une personne absente, sur l’image qu’ils s’en sont formée en la regardant.
    » Ce ne sont point de telles idées que nous avons ici à considérer.
    » Il y a d’autres idées qu’on appelle intellectuelles, et ce sont celles que la Logique a pour objet.
    » Pour les entendre, il ne faut qu’observer avec soin la distinction qu’il y a entre imaginer et entendre.
    » La même différence qui se trouve entre ces deux actes se trouve aussi entre les images que nous avons dans la fantaisie, et les idées intellectuelles qui sont celles que nous nommerons dorénavant proprement idées.
    » Comme celui qui imagine a, dans son âme, l’image de la chose qu’il imagine, ainsi celui qui entend a, dans son âme, l’idée de la vérité qu’il entend. C’est celle que nous appelons intellectuelle ; par exemple, sans imaginer aucun triangle particulier, j’entends, en général, le triangle comme une figure terminée de trois lignes droites. Le triangle ainsi entendu dans mon esprit est une idée intellectuelle.
    » L’idée peut donc être définie : ce qui représente à l’entendement la vérité de l’objet entendu. Ainsi, on ne connaît rien que ce dont on a l’idée présente.
    » De là s’ensuit que les choses dont nous n’avons nulle idée, sont, à notre égard, comme n’étant pas.
    » Il faut ici observer la liaison des idées avec les termes.
    » Il n’y a rien de plus différent que ces deux choses, et leurs différences sont aisées à remarquer.
    » L’idée est ce qui représente à l’entendement la vérité de l’objet entendu.
    » Le terme est la parole qui signifie cette idée. » Bossuet, Logique, I, III.