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prit, ou comme chose, ou comme manière de chose, ou comme chose modifiée.

J’appelle chose ce que l’on conçoit comme subsistant par soi-même, et comme le sujet de tout ce que l’on y conçoit. C’est ce que l’on appelle autrement substance.

J’appelle manière de chose, ou mode, ou attribut, ou qualité, ce qui, étant conçu dans la chose et comme ne pouvant subsister sans elle, la détermine à être d’une certaine façon, et la fait nommer telle.

J’appelle chose modifiée, lorsqu’on considère la substance comme déterminée par une certaine manière ou mode.

C’est ce qui se comprendra mieux par des exemples.

Quand je considère un corps, l’idée que j’en ai me représente une chose ou une substance, parce que je le considère comme une chose qui subsiste par soi-même, et qui n’a point besoin d’aucun sujet pour exister.

Mais quand je considère que le corps est rond, l’idée que j’ai de la rondeur ne me représente qu’une manière d’être, ou un mode que je conçois ne pouvoir subsister naturellement sans le corps dont il est rondeur.

Et enfin, quand, joignant le mode avec la chose, je considère un corps rond, cette idée me représente une chose modifiée[1].

Les noms qui servent à exprimer les choses s’appellent substantifs ou absolus, comme terre, soleil, esprit, Dieu.

Ceux aussi qui signifient premièrement et directement les modes, parce qu’en cela ils ont quelque rapport avec les substances, sont aussi appelés substantifs et absolus, comme dureté, chaleur, justice, prudence.

Les noms qui signifient les choses comme modifiées, marquant premièrement et directement la chose, quoique plus confusément, et indirectement, quoique plus distinctement, sont appelés adjectifs ou connotatifs, comme rond, dur, juste, prudent.

Mais il faut remarquer que notre esprit, étant accoutumé de connaître la plupart des choses comme modifiées, parce qu’il ne les connaît presque que par les accidents ou qualités qui nous frappent les sens, divise souvent la substance même dans son essence en deux idées, dont il regarde l’une comme sujet et l’autre comme mode. Ainsi, quoique tout ce qui est en Dieu soit Dieu même, on ne laisse pas de le concevoir

  1. Comparer avec la définition célèbre de Spinoza au début de son Éthique.