Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/74

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et qu’il y en a qui le sont de parties réellement distinctes, qu’on appelle parties intégrantes, comme le corps humain, les diverses parties d’un nombre, il est bien facile alors de concevoir que notre esprit peut s’appliquer à considérer une partie sans considérer l’autre, parce que ces parties sont réellement distinctes, et ce n’est pas même ce qu’on appelle abstraction.

Or, il est si utile dans ces choses-là même de considérer plutôt les parties séparément que le tout, que sans cela on ne peut avoir presque aucune connaissance distincte ; car, par exemple, le moyen de pouvoir connaître le corps humain, qu’en le divisant en toutes ses parties similaires et dissimilaires, et en leur donnant à toutes différents noms ? Toute l’arithmétique est aussi fondée sur cela : car on n’a pas besoin d’art pour compter les petits nombres, parce que l’esprit peut les comprendre tout entiers ; et ainsi tout l’art consiste à compter par parties ce qu’on ne pourrait compter par le tout, comme il serait impossible, quelque étendue d’esprit qu’on eût, de multiplier deux nombres de 8 ou 9 caractères chacun, en les prenant tout entiers.

La seconde connaissance par parties est quand on considère un mode sans faire attention à la substance, ou deux modes qui sont joints ensemble dans une même substance en les regardant chacun à part. C’est ce qu’ont fait les géomètres qui ont pris pour objet de leur science le corps étendu en longueur, largeur et profondeur : car, pour le mieux connaître, ils se sont premièrement appliqués à le considérer selon une seule dimension qui est la longueur ; et alors ils lui ont donné le nom de ligne. Ils l’ont considéré ensuite selon deux dimensions, la longueur et la largeur, et ils l’ont appelé surface. Et puis, considérant toutes les trois dimensions ensemble, longueur, largeur et profondeur, ils l’ont appelé solide ou corps.

On voit par là combien est ridicule l’argument de quelques sceptiques qui veulent faire douter de la certitude de la géométrie, parce qu’elle suppose des lignes et des