Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/89

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fort confuse[1], en ce qu’elle nous représente la douleur comme dans la main blessée, quoiqu’elle soit dans notre esprit.

Néanmoins, on peut dire que toute idée est distincte en tant que claire, et que leur obscurité ne vient que de leur confusion, comme dans la douleur le seul sentiment qui nous frappe est clair et est distinct aussi ; mais ce qui est confus, qui est que ce sentiment soit dans notre main, ne nous est point clair.

Prenant donc pour une même chose la clarté et la distinction des idées, il est très-important d’examiner pourquoi les unes sont claires et les autres obscures.

Mais c’est ce qui se connaît mieux par des exemples que par tout autre moyen, et ainsi nous allons faire un dénombrement des principales de nos idées qui sont claires et distinctes, et des principales de celles qui sont confuses et obscures.

L’idée que chacun a de soi-même comme d’une chose qui pense est très-claire, et de même aussi l’idée de toutes les dépendances de notre pensée, comme juger, raisonner, douter, vouloir, désirer, sentir, imaginer.

  1. « J’appelle claire, dit Descartes, la connaissance qui est présente et manifeste à un esprit attentif… et distincte celle qui est tellement précise et différente de toutes les autres qu’elle ne comprend en soi que ce qui paraît manifestement à celui qui la considère comme il faut. » Principes, i, 45. « Je dis qu’une idée est claire, dit Leibnitz, lorsqu’elle suffit pour reconnaître la chose et pour la distinguer : comme lorsque j’ai une idée bien claire d’une couleur, je ne prendrai pas une autre pour celle que je demande ; et si j’ai une idée claire d’une plante, je la discernerai parmi d’autres voisines : sans cela l’idée est obscure. Je crois que nous n’en avons guère de parfaitement claires sur les choses sensibles. Il y a des couleurs qui s’approchent de telle sorte qu’on ne saurait les discerner par mémoire, et cependant on les discernera l’une étant mise près de l’autre…
    » C’est pourquoi j’ai coutume de suivre ici le langage de M. Descartes, chez qui une idée pourra être claire et confuse en même temps : et telles sont les idées des qualités sensibles et affectées aux organes, comme celles de la couleur ou de la chaleur. Elles sont claires, car on les reconnaît et on les discerne aisément les unes des autres ; mais elles ne sont point distinctes, parce qu’on ne distingue pas ce qu’elles renferment. Ainsi on n’en saurait donner la définition. On ne les fait connaître que par des exemples ; et au reste, il faut dire que c’est un je ne sais quoi, jusqu’à ce qu’on en déchiffre la contexture. Ainsi, quoique selon nous les idées distinctes distinguent l’objet d’un autre, néanmoins comme les claires mais confuses en elles-mêmes le font aussi, nous nommons distinctes non pas toutes celles qui sont bien distinguantes ou qui distinguent les objets, mais celles qui sont bien distinguées. » (Leibnitz, Nouveaux Essais sur l’Entendement humain, II, ch. xxix.)