Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/90

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Nous avons aussi des idées fort claires de la substance étendue et de ce qui lui convient, comme figure, mouvement, repos ; car quoique nous puissions feindre qu’il n’y a aucun corps ni aucune figure, et que nous ne pouvons pas feindre de la substance qui pense tant que nous pensons, néanmoins nous ne pouvons pas nous dissimuler à nous-mêmes que nous ne concevions clairement l’étendue et la figure.

Nous concevons aussi clairement l’être, l’existence, la durée, l’ordre, le nombre, pourvu que nous pensions seulement que la durée de chaque chose est un mode ou une façon dont nous considérons cette chose en tant qu’elle continue d’être, et que pareillement l’ordre et le nombre ne diffèrent pas en effet des choses ordonnées et nombrées.

Toutes ces idées-là sont si claires que souvent, en voulant les éclaircir davantage et ne pas se contenter de celles que nous formons naturellement, on les obscurcit[1].

Nous pouvons aussi dire que l’idée que nous avons de Dieu en cette vie est claire en un sens, quoiqu’elle soit obscure en un autre sens et très-imparfaite.

Elle est claire en ce qu’elle suffit pour nous faire connaître en Dieu un très-grand nombre d’attributs que nous sommes assurés ne se trouver qu’en Dieu seul ; mais elle est obscure, si on la compare à celle qu’ont les bienheureux dans le ciel, et elle est imparfaite en ce que notre esprit, étant fini, ne peut concevoir que très-imparfaitement un objet infini. Mais ce sont différentes conditions en une idée d’être parfaite et d’être claire ; car elle est parfaite quand elle nous représente tout ce qui est en son objet, et elle est claire quand elle nous en représente assez pour le concevoir clairement et distinctement.

Les idées confuses et obscures sont celles que nous avons des qualités sensibles, comme des couleurs, des sons, des odeurs, des goûts, du froid, du chaud, de la

  1. Comparez les réflexions analogues de Pascal dans l’Essai sur l’esprit géométrique.