Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/97

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qu’étant divisée en parties plus petites et plus agitées, elle fait d’une part moins de résistance aux autres corps et s’insinue, de l’autre, plus facilement dans leurs pores : mais divisée ou non divisée, agitée ou non agitée, elle n’en est ni moins matière, ni moins corporelle et plus capable de penser ; étant impossible de s’imaginer qu’il y ait aucun rapport du mouvement ou de la figure de la matière subtile ou grossière avec la pensée, et qu’une matière qui ne pensait pas lorsqu’elle était en repos comme la terre, ou dans un mouvement modéré comme l’eau, puisse parvenir à se connaître soi-même, si on vient à la remuer davantage et à lui donner trois ou quatre bouillons de plus[1].

On pourrait étendre cela beaucoup davantage ; mais c’est assez pour faire entendre toutes les autres idées confuses, qui ont presque toutes quelques causes semblables à ce que nous venons de dire.

L’unique remède à cet inconvénient est de nous défaire des préjugés de notre enfance, et de ne rien croire de ce qui est du ressort de notre raison parce que nous en avons jugé autrefois, mais par ce que nous en jugeons maintenant[2] ; et ainsi nous nous réduirons à nos idées naturelles ; et pour les confuses, nous n’en retiendrons que ce qu’elles ont de clair, comme qu’il y a quelque chose dans le feu qui est cause que je sens de la chaleur, que toutes les choses qu’on appelle pesantes sont poussées en bas par quelque cause, ne déterminant rien de ce qui peut être dans le feu qui me cause ce sentiment ou de la cause qui fait tomber une pierre en bas, que je n’aie des raisons claires qui m’en donnent la connaissance.


  1. Leibnitz remarque également que, s’il suffisait de subtiliser la matière pour la rendre capable de penser, en augmentant les proportions de ce mécanisme subtil on pourrait pénétrer dedans comme dans un moulin.
  2. Règle empruntée à Descartes.