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CHAPITRE X

Quelques exemples de ces idées confuses et obscures, tirés de la morale.


On a rapporté dans le chapitre précédent divers exemples de ces idées confuses, que l’on peut appeler fausses, pour la raison que nous avons dite ; mais parce qu’ils sont tous pris de la physique, il ne sera pas inutile d’y en joindre quelques autres tirés de la morale, les fausses idées que l’on se forme à l’égard des biens et des maux étant infiniment plus dangereuses.

Qu’un homme ait une idée fausse ou véritable, claire ou obscure, de la pesanteur, des qualités sensibles et des actions des sens, il n’en est ni plus heureux ni plus malheureux ; s’il en est un peu plus ou moins savant, il n’en est ni plus homme de bien ni plus méchant. Quelque opinion que nous ayons de toutes ces choses, elles ne changeront pas pour nous. Leur être est indépendant de notre science, et la conduite de notre vie est indépendante de la connaissance de leur être : ainsi, il est permis à tout le monde de s’en remettre à ce que nous en connaîtrons dans l’autre vie, et de se reposer généralement de l’ordre du monde sur la bonté et sur la sagesse de celui qui le gouverne.

Mais personne ne se peut dispenser de former des jugements sur les choses bonnes ou mauvaises, puisque c’est par ces jugements qu’on doit conduire sa vie, régler ses actions, et se rendre heureux ou malheureux éternellement ; et comme les fausses idées que l’on a de toutes ces choses sont les sources des mauvais jugements que l’on en fait, il serait infiniment plus important de s’appliquer à les connaître et à les corriger[1], que non pas à réformer celles que la précipitation de nos jugements ou les préjugés de notre enfance nous font concevoir des

  1. Ces réflexions rappellent des doctrines analogues de Socrate.