Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/99

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choses de la nature qui ne sont l’objet que d’une spéculation stérile[1].

Pour les découvrir toutes, il faudrait faire une morale tout entière ; mais on n’a dessein ici que de proposer quelques exemples de la manière dont on les forme, en alliant ensemble diverses idées qui ne sont pas jointes dans la vérité, dont on compose ainsi de vains fantômes après lesquels les hommes courent, et dont ils se repaissent misérablement toute leur vie.

L’homme trouve en soi l’idée du bonheur et du malheur, et cette idée n’est point fausse ni confuse tant qu’elle demeure générale : il a aussi des idées de petitesse, de grandeur, de bassesse, d’excellence ; il désire le bonheur, il fuit le malheur, il admire l’excellence, il méprise la bassesse.

Mais la corruption du péché qui le sépare de Dieu, en qui seul il pouvait trouver son véritable bonheur, et à qui seul par conséquent il en devait attacher l’idée, la lui fait joindre à une infinité de choses dans l’amour desquelles il s’est précipité pour y chercher la félicité qu’il avait perdue ; et c’est par là qu’il s’est formé une infinité d’idées fausses et obscures, en se représentant tous les objets de son amour comme étant capables de le rendre heureux, et ceux qui l’en privent comme le rendant misérable. Il a de même perdu par le péché la véritable grandeur et la véritable excellence, et ainsi il est contraint, pour s’aimer, de se représenter à soi-même autre qu’il n’est en effet ; de se cacher ses misères et sa pauvreté, et d’enfermer dans son idée un grand nombre de choses qui en sont entièrement séparées, enfin de la grossir et de l’agrandir ; et voici la suite ordinaire de ces fausses idées.

La première et la principale pente de la concupiscence est vers le plaisir des sens qui naît de certains objets extérieurs ; et comme l’âme s’aperçoit que ce plaisir qu’elle aime lui vient de ces choses, elle y joint incontinent

  1. Exagération théologique et janséniste.