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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/108

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histoire de saint augustin.

de saint Augustin. L’évêque d’Hippone, par les questions ou les réponses qu’il adresse, serre son adversaire, l’enlace, le subjugue ; Félix nous apparaît tout chancelant sous le poids de la vérité, et à la fin il succombe.

Au début de la discussion, Augustin remet à Félix un exemplaire de la lettre de Manichée, cette lettre fondamentale dont nous avons parlé dans un précédent chapitre. Il demande au prêtre manichéen s’il la reconnaît, et celui-ci répond affirmativement. Félix lit le premier paragraphe de cette lettre, où Manichée prend le titre, d’apôtre de Jésus-Christ, par la providence de Dieu le Père. Le manichéen ne peut pas justifier la qualification d’apôtre de Jésus-Christ dont son maître se pare ; Augustin lui prouve que le Paraclet est descendu bien avant que Manichée vînt au monde, et que Manichée n’est pas l’accomplissement vivant de la promesse du Sauveur. Saint Paul, dans une épître à Timothée, annonce des temps où des hommes séduits s’éloigneront de la foi ; Félix répond que Manichée ne s’est éloigné d’aucune religion et qu’il est resté dans la sienne. Augustin le fait ressouvenir des nombreux catholiques que Manichée a arrachés à la foi. Saint Paul avait dit[1] : « Nous savons d’un côté, nous prophétisons d’un côté ; mais lorsque ce qui est parfait sera venu, les choses incomplètes disparaîtront. » D’après Félix, Manichée est arrivé pour réaliser la perfection annoncée par le grand Apôtre, perfection qui n’est autre chose que l’œuvre du Paraclet ; Manichée a été celui qui devait venir aux termes de saint Paul ; il a enseigné le commencement, le milieu et la fin ; il a révélé l’origine du monde et la raison de sa création ; il a expliqué la succession des jours et des nuits, le cours du soleil et de la lune. Toutes ces choses-là ne se trouvaient ni dans Paul ni dans les autres apôtres. Voilà pourquoi Manichée a été reçu comme l’envoyé promis.

Augustin expose le vrai sens des paroles de saint Paul dont les Manichéens abusaient si étrangement. Il importait peu que l’explication de l’origine de l’univers, du cours du soleil et de la lune, se trouvât ou ne se trouvât point dans les écrits des apôtres. Le maître n’avait pas dit : Je vous enverrai le Paraclet qui vous enseignera le cours du soleil et de la lune ; il voulait faire des chrétiens et non pas des mathématiciens. Lorsque saint Paul disait que nous ne savons qu’un côté des choses, il songeait à la faible condition humaine qui nous empêche d’atteindre à tout ici-bas ; quand nous aurons franchi les bornes de cette vie, l’esprit divin nous introduira dans la possession de toute vérité. Nous voyons maintenant à travers les voiles de l’énigme, mais plus tard nous verrons Dieu face à face comme parle saint Paul. « Mais, dites-moi, ajoute Augustin en s’adressant à Félix, si l’Apôtre annonçait les temps futurs de Manichée, vous voyez donc aujourd’hui Dieu face à face. » Félix, confondu, répond qu’il se sent comme effrayé devant la force d’Augustin, devant l’autorité épiscopale et les lois des empereurs, mais il prie le grand évêque de lui apprendre la vérité et de l’aider à se dépouiller de ses mensonges. Augustin lui dit que sa propre force n’est rien ; si elle est quelque chose, il l’a reçue pour combattre l’erreur au nom de celui qui soutient les fidèles et les humbles. L’autorité épiscopale ne, doit pas épouvanter Félix ; il peut reconnaître avec quelle paix on agit, avec quelle tranquillité on dispute ; le peuple présent à la conférence ne fait aucune violence au prêtre manichéen, n’inspire aucune frayeur, mais écoute paisiblement comme il convient à des chrétiens. Pourquoi redouter les lois impériales ? i Celui qui est rempli de l’esprit divin demeure au-dessus de toute crainte. L’apôtre Pierre renia son Seigneur durant sa passion ; mais après la descente du Paraclet, il sut mourir sur la croix pour la foi de son maître.

Félix réplique qu’il ne fuit pas la vérité, mais qu’il la cherche. Augustin veut lui faire condamner toutes les perversités manichéennes ; il faut qu’un vase soit vidé pour qu’on puisse le remplir d’une liqueur nouvelle. La lecture de la suite de la lettre de Manichée amène une série de questions où Félix, acculé par la logique d’Augustin, se trouve en plein panthéisme, Hoc unum sunt omnes (ils ne forment tous qu’une même chose), répond le manichéens propos de Dieu, des créatures humaines et de, la terre. Augustin montre la différence qu’il y entre l’ouvrier et ses ouvrages, entre la substance divine et les œuvres extérieures créée librement par le pouvoir divin. Il reproduit le fameux argument contre l’existence des deux éternels principes. Si la nation des ténèbres a pu nuire au bon principe, ce bon principe était donc pas d’une nature immuable, incorruptible, invincible ; il n’était donc pas Dieu, et

  1. Corinth. XIII, 9, 10.